Cette année, nous fêtons le soixantième anniversaire de la création de l’ordre national du Mérite (ONM), l’occasion pour nous de mettre en avant des facettes de l’histoire de cette décoration qui sont moins connues du grand public. Un fondateur illustre, une couleur incontournable, différents critères et modèles… c’est parti ! 

Une création du général de Gaulle

Deuxième ordre national après celui de la Légion d’honneur, l’ordre national du Mérite est aussi le plus jeune ordre honorifique français et le second (avec l’ordre de la Libération) a avoir été créé par le général de Gaulle.

Le général Catroux, grand chancelier de la Légion d’honneur de 1954 à 1969, inquiet de l’inflation des effectifs des membres de l’ordre, soumit un projet au président de la République René Coty, visant à créer un deuxième ordre national. Le général de Gaulle, ayant accédé au pouvoir en janvier 1959, saisit le sujet à bras le corps et entreprend sans attendre les travaux visant à revaloriser l’ordre de la Légion d’honneur.

L’ONM du général de Gaulle, visible au musée de la Légion d’honneur

En effet, sous la IVe République, la plus haute distinction française traverse une période de crise due à une « surenchère en matière d’attribution de la croix de la Légion d’honneur » et le général Catroux note que « si nul ne peut mettre en doute la pérennité de l’esprit et du caractère de notre décoration nationale, certains contestent qu’elle soit restée, comme le voulait son fondateur, une distinction dont la rareté faisait le prix. On entend, en effet, souvent alléguer qu’elle est prodiguée et qu’elle est parfois décernée, non point en considération des mérites, mais à des fins politiques ». 

Il est également constaté la grande complexité du système français des récompenses qui, nous le verrons plus bas, mérite que soient apportées une simplification et une clarification du système honorifique national.

Le 3 décembre 1963, le général de Gaulle signe le décret instituant et organisant l’ordre national du Mérite destiné à récompenser les mérites distingués acquis soit dans une fonction publique, civile ou militaire, soit dans l’exercice d’une activité privée. Pour autant, il réserve à l’ordre de la Légion d’honneur la récompense des mérites éminents. Le nouvel ordre s’ouvre aussi à des classes d’âge plus jeunes que celles de la Légion d’honneur dans la mesure où les durées de services exigées sont diminuées environ de moitié (dix ans contre vingt pour la Légion d’honneur).

L’ordre national du Mérite comprend lui aussi trois grades (chevalier, officier et commandeur) et deux dignités (grand officier et grand’croix). Le port des insignes est calqué sur celui de la Légion d’honneur, mais savez vous que dans le premier projet, il était envisagé pour les grands officiers de porter la plaque avec la cravate, comme pour d’autres ordres anciens ? De même, les deux plaques de dignitaires ont évolué sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing et à sa demande, en y ajoutant de l’émail bleu, dans le but d’enrichir l’ordre (cette étude a été menée de 1977 à 1980). 

Luciani71, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

D’où vient la couleur bleue de son ruban ?

En 1963, lors de la création de l’ordre national du Mérite, et faisant référence à l’ordre de la Légion d’honneur, Charles de Gaulle déclara : « désormais nous aurons deux ordres, l’un rouge, l’autre bleu, aux couleurs de notre drapeau. » Dès lors, la question de l’origine du bleu pour le ruban de l’ONM revient à se demander d’où vient cette couleur pour notre drapeau national.

Saint-Martin partageant son manteau avec un mendiant, Ernest Michel (1870)

Pour cela, il faut remonter à Clovis qui, lors de son baptême, est placé par l’évêque de Reims sous la protection de Saint-Martin. Le bleu, couleur du manteau de Saint-Martin devient alors la couleur de ralliement du peuple franc, mais aussi un symbole de victoire militaire lorsque Clovis remporte la bataille de Vouillé en 507, tandis qu’une réplique de la chape avait été installée sur le champ de bataille. Deux siècles plus tard, le futur Charles Martel fera de même en remportant la victoire face aux Arabes en 732 sous la bannière bleue.

Le bleu de Saint-Martin devient donc l’une des couleurs de la France, au même titre que le rouge de l’oriflamme de Saint-Denis et le blanc du commandement militaire. Trois couleurs nationales qui vont devenir progressivement celles de la Révolution, lorsque le bleu et le rouge, couleurs de Paris, et le blanc, couleur de la monarchie, vont s’unir pour symboliser la Nation.

D’ailleurs, le général de Gaulle ne pense pas si bien dire car, dans le système honorifique français, le bleu a souvent été associé au rouge dans les plus hautes distinctions. Ainsi, sous l’Ancien régime, au rouge de l’ordre de Saint-Louis répondait le bleu du Mérite militaire. L’Empire reprit cette formule en donnant un ruban bleu à l’ordre de la Réunion, en complément de la Légion d’honneur et de son ruban rouge.

La Ve République fit donc également ce choix, en choisissant la couleur « bleu de France » pour son second ordre national. Pour autant cette couleur bleue ne s’est pas imposée naturellement ; savez vous que dans l’un des projets, la couleur du ruban devait être jaune avec des rayures noires ?


Ordre royal et militaire de Saint-Louis

Institution du Mérite Militaire
Ordre de la Légion d’honneur (Premier Empire)
Ordre de la Réunion

Un ordre qui en fit disparaître seize autres

Illustration reconstituant le port des 85 décorations françaises existantes avant la création de l’ONM, parue dans Paris Match le 11 juillet 1964

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le général de Gaulle souhaite mettre un terme aux nombreux ordres ministériels qui ont proliféré depuis la IIIe République, notamment à travers l’intérêt porté aux problèmes sociaux et économiques (Mérite social, Mérite commercial). Par ailleurs, en pleine période de décolonisation, subsistent des ordres anciennement coloniaux, détournés de leur fonction première mais à « l’exotisme flatteur » et dont les mérites restent incertains.

Un travail périlleux commence alors pour déterminer la liste des ordres secondaires spécialisés destinés à disparaître pour parachever la réforme et clarifier le paysage des récompenses françaises. Après de longues négociations au sein du Gouvernement, la liste est fixée par le général de Gaulle le 28 octobre 1963 dans une lettre à son Premier ministre Georges Pompidou. 

Ce sont donc pas moins de seize ordres ministériels et coloniaux qui sont abolis le 3 décembre 1963. Même si « éteints » serait d’ailleurs plus juste car bien qu’ils ne soient plus attribués, ils ne sont pas supprimés pour autant et leurs titulaires peuvent encore les porter. Seuls subsistent les Palmes académiques, les Arts et les Lettres, le Mérite agricole et le Mérite maritime. Ce dernier a d’ailleurs bien failli être le dix-septième ordre….

Article du Parisien en date du 15 novembre 1963 annonçant la disparition de dix-sept ordres au profit de l'ONM
Article du Parisien en date du 15 novembre 1963 annonçant la disparition de dix-sept ordres au profit de l’ONM

Le décret définitif est enfin signé le 3 décembre 1963 par le président de la République et contresigné par le Premier ministre et tous les ministres concernés, avec visa pour exécution du chancelier de l’ordre du Mérite. Il paraît au Journal officiel du 5 décembre 1963.

Êtes-vous éligible à l’ONM ?

Selon l’article 174 du code de la Légion d’honneur, pour être nommé chevalier de l’ordre national du Mérite à titre normal, il faut justifier « de dix ans au moins de services ou d’activités assortis de mérites distingués » même si, dans les faits, la jurisprudence a porté ce minimum à quinze ans.

La notion de « mérites distingués » recouvre des actes de dévouement, de bravoure, de générosité, de réels mérites ou un engagement mesurable au service des autres ou de la France, ne présentant pas encore les qualifications suffisantes pour accéder à la Légion d’honneur.

En ce qui concerne les autres grades, pour être promu officier, il faut justifier de cinq ans au moins dans le grade de chevalier du Mérite et, pour être promu commandeur, il faut justifier de trois ans au moins dans le grade d’officier du Mérite. Enfin, ne peuvent être élevés à la dignité de grand officier ou de grand’croix que les commandeurs ou les grands officiers comptant au minimum respectivement trois ans dans leur grade ou dignité.

Il est également possible de recevoir l’ordre national du Mérite à titre exceptionnel, c’est-à-dire sans avoir l’ancienneté requise, en cas de « services exceptionnels ». Un exemple récent est celui de Guillaume Rozier, fondateur des sites CovidTracker et Vitemadose pendant la crise de la Covid-19, qui a été nommé chevalier du Mérite le 21 mai 2021, alors qu’il était âgé de seulement 25 ans !

Guillaume Rozier recevant l’ordre national du Mérite des mains du président Macron

Enfin, s’agissant des sportifs, le général de Gaulle souhaitait que l’ONM récompense les vainqueurs d’une compétition, pour ne pas avoir à recourir à la Légion d’honneur. Cette disposition évoluera en 1996 après les Jeux olympiques d’Atlanta, lorsque le président Chirac créa une jurisprudence en attribuant la Légion d’honneur pour les médaillés d’or olympiques.

Avec le temps, cette mesure inclut également les champions du monde dans les sports majeurs (comme le football), ce qui laissa le Mérite aux autres médaillés olympiques (argent et bronze) et aux vainqueurs dans les sports moins médiatiques, comme ce fut le cas de Simon Pagenaud lors de sa victoire aux 500 Miles d’Indianopolis 2019.

Un exemple de mérite distingué : être le premier Français à gagner les 500 Miles d’Indianapolis depuis 1920 !

Différents modèles existent, choisissez le bon !

Comme pour les autres décorations (actuelles ou anciennes), si les textes précisent les normes règlementaires de l’insigne, les différents fabricants vont les interpréter à leur façon, ce qui va conduire à des variantes d’une maison à l’autre. Bien évidemment ces différences sont infimes et vont se révéler dans le détails de l’objet : une fine ciselure de la couronne de laurier, un centre en une ou plusieurs parties, etc. Ce sont ces différences qui aujourd’hui font le bonheur des collectionneurs.

Depuis 1963, beaucoup de ces fabricants historiques ont disparu et les lieux spécialisés comme le Palais royal se vident petit à petit. Pour rentrer dans le détail, le Musée national de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie a bien voulu nous apporter quelques précisions…

Tout d’abord il faut se rappeler que, contrairement à la Légion d’honneur, il n’y a jamais eu de fournisseur officiel de l’ordre national du Mérite. Il y a dès le début un fournisseur mais pas de fournisseur officiel. Ainsi, si la société Arthus Bertrand semblait la mieux placée, notamment pour l’élaboration du projet, c’est la Monnaie de Paris qui devint le premier fournisseur à la dernière minute.

Nous retrouvons donc en détail les fabricants emblématiques de l’ordre national du Mérite. La Monnaie de Paris, tout d’abord, qui reste l’institution incontournable des ordres nationaux. De l’origine de l’ordre jusqu’à aujourd’hui, elle continue de fabriquer tous les grades et toutes les dignités, en argent ou en vermeil. Sa particularité réside dans son centre (en une seule partie) et dans son poinçon (une corne d’abondance jusqu’en 1996, puis une double depuis).

            

La société Chobillon, ensuite, fabriquait tous les insignes de l’ordre jusqu’en 1979. À compter de cette année, elle fut rachetée par la firme Arthus Bertrand. Les insignes de la maison Chobillon existaient avec un centre en une ou deux parties et avec la particularité que certains étaient en or. Le poinçon est matérialisé par deux queues de billard enlacées.

            

Troisième grande maison, la firme Arthus Bertrand fabrique encore aujourd’hui tous les grades. Après avoir rachetée la maison Chobillon en 1979, les insignes de la firme Arthus Bertrand sont variés et dans toutes les matières (or, argent, métal doré ou argenté), avec des centres en une, deux ou trois parties. Le poinçon est une roue d’engrenage surmontée d’une étoile.

           

Quatrième grande maison, la société Bacqueville, est la dernière survivante du Palais Royal, elle fabrique tous les insignes avec des centres en une ou deux parties et dans toutes les matières. La particularité de ses productions résidait notamment dans un petit jour dans la partie supérieure de la couronne de lauriers. Le poinçon historique est un navire à voile.

 

Enfin les maisons Marie-Stuart et Au duc de Chartres, qui étaient elles aussi au Palais Royal ont fermé en 2009 et 2013 et proposaient des insignes fabriqués par l’orfèvre René. La particularité de leurs productions résidait dans une couronne à fort relief. le poinçon est une roue.

             

Enfin, moins prestigieuses que les sociétés emblématiques que nous venons de citer et aussi moins connues, on retrouve les sociétés de Greef (jusqu’en 2008) dont le poinçon est une tête d’homme de profil, Delsart (fabricant historique d’insignes militaires) ou encore Eekelers-Centinie (maison belge) qui ont fabriqué des insignes plus accessibles, souvent en résine et non en émail et en métal fondu argenté ou doré, sans marquages particuliers. 

Conclusion

Le Général, pourtant si peu enclin à se parer de décorations, a été finalement grand maître de trois ordres et a laissé une marque profonde dans l’histoire des récompenses en France. Par son action, il a mis fin à une profusion récente d’ordres, redonné de l’éclat au premier d’entre eux et a instauré le second qui n’agit pas seulement comme un marchepied de la Légion d’honneur, mais a su prendre toute sa place de second ordre national.

L’étude des textes qui préparèrent sa création est d’ailleurs fascinante et réserve de savoureuses pépites ;  pour terminer cet article nous vous en livrons encore deux : savez-vous qu’il était envisagé de l’appeler ordre du Mérite national ou ordre national du Mérite de France, ou encore ordre du Mérite de France ? Enfin, pour matérialiser le lien qui existe entre les deux ordres nationaux, il était prévu d’être nommé au préalable officier de l’ordre national du Mérite pour pouvoir prétendre au grade de chevalier de la Légion d’honneur. Bien évidemment, ces dispositions n’ont pas été retenues dans le projet final.

Aujourd’hui, l’ordre national du Mérite compte 178 000 membres. 

Un grand merci au Musée national de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie – en la personne de son conservateur par intérim Tom Dutheil – qui a bien voulu nous partager ses connaissances et nous ouvrir ses archives