En 1972 sortait dans les salles obscures Le Parrain (The Godfather), un chef d’œuvre réalisé par Francis Ford Coppola. Adapté du roman éponyme de Mario Puzo, il raconte l’histoire des Corleone, l’une des plus grandes familles de la mafia italo-américaine. Le film aborde le sujet de la succession du patriarche de la famille, Vito Corleone dit le « Parrain » (Marlon Brando), et de l’ascension de son plus jeune fils, Michael (Al Pacino).

Comme vous le savez, nous avons déjà abordé plusieurs personnages fictifs dans nos articles. Ce fut le cas de James Bond, Maverick ou encore John Rambo, et il est vrai que, contrairement à eux, Michael Corleone ne semble pas être un choix évident en termes de médailles. C’est pourtant tout l’inverse et nous allons vous expliquer pourquoi ces dernières contribuent pleinement à la construction du personnage…

Le Parrain (1972)

Le contexte

Troisième enfant de la famille Corleone, Michael est le fils de Vito Corleone, le parrain de l’une des cinq familles mafieuses qui se partagent la ville de New York. Lorsque la guerre éclate entre les États-Unis et le Japon en 1941, il prend part au conflit en s’engageant dans l’armée américaine.

Michael et Sonny Corleone

Le premier film commence à la fin de l’été 1945 avec le retour de Michael qui vient assister au mariage de sa sœur Connie. Il arbore pour l’occasion un uniforme de capitaine (captain) des Marines garni de plusieurs décorations.

Les médailles

Silver Star

Derrière la Medal of Honor et la Navy Cross, « l’étoile d’argent » est la troisième plus haute décoration de combat pouvant être attribuée à un militaire du corps des Marines des États-Unis. Créée en 1918 mais attribuée depuis 1932, cette médaille est décernée pour récompenser la bravoure au combat.

Navy and Marine Corps Medal

Le ruban suivant est celui de la « médaille de la Marine et du Corps des Marines », une décoration créée en août 1942 pour distinguer l’héroïsme des militaires de la Navy et des Marines ayant risqué leur vie pour sauver celle des autres.

Purple Heart

Michael est également titulaire du « coeur violet », qui implique d’avoir été blessé (ou tué) dans une action face à l’ennemi. Si le Purple Heart original, d’abord nommé « badge du Mérite Militaire », est instauré par George Washington, il disparaît à la suite de la Révolution américaine, avant que ne soit décrété son retour en février 1932, à l’occasion du bicentenaire de l’anniversaire de Washington.

Asiatic-Pacific Campaign Medal

On trouve ensuite trois médailles commémoratives, avec tout d’abord la médaille de la campagne Asie-Pacifique, décernée à tous les militaires américains qui ont servi entre le 7 décembre 1941 et le 2 mars 1946 sur ce théâtre. Le ruban de Michael a deux étoiles de service (service stars), indiquant sa présence dans deux des 48 campagnes navales et maritimes du Pacifique.

European-African-Middle Eastern Campaign Medal

Vient ensuite le ruban de la médaille de la campagne européenne, africaine et moyen-orientale, montrant que Michael a également été actif hors du continent asiatique, avec cette fois une étoile de campagne sur sa dixmude. Outre la différence de territoire et le nombre de campagnes sur ce théâtre (seize), les conditions d’obtention de la médaille comportent les mêmes dates que pour la décoration précédente.

World War II Victory Medal

La dernière médaille est celle de la Victoire de la Seconde Guerre mondiale. Créée par le Congrès américain le 6 juillet 1945 et décernée à tous les militaires actifs qui ont servi dans l’armée américaine entre le 7 décembre 1941 et le 31 décembre 1946, elle se distingue par son ruban comportant les couleurs de l’arc-en-ciel, qui fait écho à celui de la médaille interalliée de la guerre 1914-1918.

Pourquoi c’est important ?

S’il semblait destiné à poursuivre les activités illicites de sa famille avec ses frères, Michael se démarque finalement d’eux en se tenant à l’écart du système mafieux. Pour marquer une bonne fois pour toute sa différence, il va jusqu’à s’engager chez les Marines contre l’avis de sa famille.

La famille Corleone : Sonny, Vito, Michael et Fredo

Lors du mariage de sa sœur, Michael semble être en rupture totale avec ses frères en arborant des décorations qui font de lui un héros de guerre, alors que ces derniers ont bénéficié des contacts de leur père pour éviter la mobilisation.

Ici, les médailles contribuent à souligner le fort contraste qui règne entre Michael et le reste de la fratrie, ce qui renforce d’ailleurs l’effet de surprise lorsqu’il devient le nouveau chef de la famille…

Le Parrain, 2e partie (1974)

Le contexte

Tandis qu’il dirige la famille Corleone, Michael a quitté New York et s’est installé à proximité de Las Vegas. Après plusieurs péripéties, il doit faire face à une commission d’enquête sénatoriale car la victime d’une tentative d’assassinat perpétrée par Michael veut témoigner contre lui. On apprend alors qu’il est titulaire d’une décoration de haut rang…

La médaille

Navy Cross

La « croix de la Marine » est la plus haute décoration décernée par l’US Marines Corps et la deuxième plus haute récompense américaine récompensant la valeur au combat après la Medal of Honor. Créée en février 1919, elle récompense les Marines s’étant distingué par un héroïsme extraordinaire face à une force ennemie.

L’insigne se compose notamment d’une caravelle placée au centre de la croix ; elle symbolise à la fois le domaine maritime et la tradition de la mer. Sur le ruban, le bleu marine, faisant allusion au service naval, cohabite avec le blanc, qui représente la pureté de l’altruisme.

Pourquoi c’est important ?

Je considère comme un grand déshonneur pour moi d’être ici et d’avoir à daigner que je sois un criminel. […] J’ai rendu de bons et loyaux services à mon pays au cours de la Deuxième Guerre mondiale, on m’a décerné la croix de guerre pour avoir défendu mon pays.

Michael Corleone

Tandis qu’on remarque qu’une erreur de traduction s’est glissée dans la version française du film, où il est question de croix de guerre plutôt que de Navy Cross, il est intéressant de voir que Michael Corleone se sert de sa décoration comme d’un argument d’autorité.

En effet, d’un point de vue rhétorique, il initie sa défense face au tribunal en rappelant ce point particulier. Et, bien que ce fait ne peut pas se substituer à l’argumentation en elle-même, elle permet de propager la crédibilité de la décoration à son discours par un effet de « contagion ».

Et cela semble fonctionner pour Michael qui inspire finalement du respect à son auditoire qui le traitait jusqu’alors sans égard. De plus, faute de véritables preuves, il n’est pas inquiété outre mesure par le comité sénatorial qui n’a d’autre choix que d’ajourner la séance.

Michael Corleone lors de son procès, accompagné de son consigliere Tom Hagen

Pourquoi Michael ne porte-t-il pas la Navy Cross dans le premier film ?

Comme vous l’aurez remarqué, cette décoration éminente ne figure pas sur l’uniforme de Michael lors du mariage de Connie. Deux possibilités permettent d’expliquer ceci : soit cette médaille venait récompenser un acte récent et donc elle n’avait pas encore attribuée à Michael à cause des délais administratifs, soit la Silver Star qu’il détenait a été revalorisée en Navy Cross, un procédé assez courant dans les forces armées américaines.

Le Parrain, 3e partie (1990)

Le contexte

En 1979, âgé de près de soixante ans et rongé par la culpabilité pour la manière impitoyable dont il a accédé au pouvoir, en ayant notamment ordonné l’assassinat de son frère Fredo, Michael a fait de nombreux dons de son importante fortune à des œuvres de charité.

Pour le récompenser, il est nommé commandeur dans l’un des ordres pontificaux par l’archevêque de New York qui lui remet cette décoration lors d’une cérémonie dans l’ancienne cathédrale Saint-Patrick de New-York.

Michael Corleone arborant l’ordre de Saint-Sylvestre

La médaille

Ordre pontifical du pape Saint-Sylvestre

Cet ordre n’est autre que l’ordre de Saint-Sylvestre, fondé en octobre 1841 par le pape Grégoire XVI. Décerné par le Vatican pour récompenser les mérites civils, il comprend quatre classes : chevalier, commandeur, commandeur avec plaque et grand’croix. Il est l’un des cinq ordres de chevalerie accordés directement par le pape en tant que souverain pontife et chef de l’Église catholique 

Pourquoi c’est important ?

Officiellement, Michael reçoit un tel honneur pour ses actions de charité. Cependant, la réalité est toute autre : sachant que l’archevêque Gilday, à la tête de la Banque du Vatican, avait accumulé un déficit massif, Michael lui a offert 600 millions de dollars en échange d’une participation dans une importante société immobilière, Internazionale Immobiliare, détenue par le Vatican. 

Les insignes de commandeur de l’ordre de Saint-Sylvestre, renommé « Saint-Sébastien » dans le film

Alors qu’on pensait que Michael était sur la voie de la rédemption en abandonnant ses activités illicites, ces dernières le rattrapent comme une fatalité. La transaction qu’il a conclu est en fait le point de départ d’une escroquerie de haut niveau élaborée notamment par Gilday et le comptable du Vatican.

Cette collusion fictive entre la mafia et le Saint-Siège est basée sur le scandale bien réel de la Banco Ambrosiano, qui éclate en 1981. Dès lors, les noms des personnages inspirés de personnes réelles ont été modifiés, tout comme le nom de cet ordre pontifical, renommé dans le film « ordre de Saint-Sébastien ».

Conclusion

Reconstitution du placard de Michael Corleone : Navy Cross, Silver Star, Purple Heart, Asiatic-Pacific Campaign Medal (2 service stars), European-African-Middle Eastern Campaign Medal (1 service star), World War II Victory Medal, commandeur de l’ordre pontifical de Saint-Sylvestre

Nous l’avons vu, les décorations sont certes secondaires dans la dense histoire du Parrain, mais elles contribuent indéniablement à la construction du personnage et à l’image que Michael Corleone renvoie aux autres personnages du récit et aux spectateurs.

Grâce à ce détail assuré par les scénaristes mais également par les costumiers et les accessoiristes des trois films, la cohérence d’ensemble et l’immersion s’en voient renforcées, donnant un tout qui a remporté un total neuf Oscars à une trilogie qui compte parmi les plus célèbres du septième art.