C’est une question qui fait régulièrement l’actualité : quelles sont les modalités de retrait de la Légion d’honneur ? Si, à travers la notion de « mérites éminents », la plus haute distinction française possède une part de subjectivité dans son attribution, on retrouve également ce caractère lorsqu’on retire la Légion d’honneur à un décoré, car il convient alors de déterminer quels sont les actes « contraires à l’honneur ».

Dans ce nouvel article, nous vous proposons donc de faire la lumière sur cette procédure exceptionnelle et sur quelques précédents notables.

Qu’est-ce qu’un manquement à l’honneur ?

L’humanité est sujette à ces alternatives de sentiments élevés et de passions basses, de dévouement et de vengeance ou de cupidité. Assurément, les circonstances et le milieu ne produisent pas à eux seuls les vices et les vertus, mais ils fortifient l’énergie du caractère pour le bien ou ils affaiblissent la résistance aux mauvais penchants et tel, qui s’est élevé dans des occasions favorables, peut être amené à descendre, quand une nouvelle situation le place en présence d’épreuves inattendues.

Léon Aucoc, La discipline de la Légion d’honneur et le contrôle des nominations, 1890

Avant d’analyser la discipline de la Légion d’honneur, il convient de définir le terme d’honneur, omniprésent dans l’ordre car il fait aussi bien partie de son nom que de sa devise (« Honneur et Patrie »). Si l’on prend le dictionnaire Larousse, l’honneur est un « ensemble de principes moraux qui incitent à ne jamais accomplir une action qui fasse perdre l’estime qu’on a de soi ou celle qu’autrui nous porte ». Cet ensemble de principes moraux est essentiel à prendre en compte car il constitue le fondement de la Légion d’honneur, et ce dès son institution.

Première remise des insignes de la Légion d’honneur par Napoléon dans l’église des Invalides, le 15 juillet 1804 © MLH

En effet, lorsqu’il créé l’ordre en 1802, Napoléon Bonaparte cherche à fédérer la société autour d’un idéal commun : l’honneur individuel et l’honneur national. Les citoyens sont alors récompensés lorsqu’ils œuvrent au bénéfice de la société, que ce soit pour le développement de la France, pour son rayonnement ou encore pour sa défense. En réunissant tous ceux qui peuvent se prévaloir d’actions de grande valeur, l’ordre permettait de constituer une élite vivante devant servir de modèle pour la société. 

Dès lors, lorsqu’un légionnaire manque à l’honneur, il n’est plus un exemple pour ses concitoyens et n’incarne donc plus les valeurs que prône la Légion d’honneur. De ce fait, cette dernière doit réagir pour ne pas être associée à cette action néfaste, l’enjeu étant de conserver la grandeur et la vocation de l’ordre. Cette réponse découle du code de la Légion d’honneur, qui constitue la charte fondamentale des ordres nationaux et de la Médaille militaire.

La discipline de la Légion d’honneur

Le code de la Légion d’honneur de 1962, exposé au musée de la Légion d’honneur © MLH

Lorsqu’un cas de manquement à l’honneur est avéré, indépendamment des décisions de justice, une procédure s’ouvre devant le conseil de l’ordre. Cette assemblée de seize personnes, présidée par le grand chancelier, est en charge de toutes les questions relatives à la gouvernance de l’institution. Au cours de cette action disciplinaire, le conseil de l’ordre agit en tant que « juge de l’honneur » et émet son avis sur les sanctions à prendre contre l’intéressé. Prévues par le code de la Légion d’honneur, ces dernières sont au nombre de trois :

  1. la censure, qui n’a pas d’effet apparent bien qu’elle soit inscrite au dossier de l’intéressé ;
  2. la suspension totale ou partielle de l’exercice des droits et prérogatives ainsi que du droit au traitement attachés à la qualité de membre de l’ordre de la Légion d’honneur, et ce pendant une durée déterminée ;
  3. l’exclusion de l’ordre, qui doit être décidée à la majorité des deux tiers des votants.

Cette troisième peine, qui entraîne le retrait définitif du droit de porter les insignes de toute décoration française ou étrangère ressortissant à la grande chancellerie de la Légion d’honneur, est prononcée d’office lorsqu’un membre de l’ordre fait l’objet d’une condamnation pour crime ou d’une peine d’emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un an. Elle peut également être prononcée lorsqu’un membre de l’ordre fait l’objet d’une condamnation à une peine correctionnelle.

L’exclusion et la suspension sont prononcées par décret du président de la République, tandis que la censure est prononcée par arrêté du grand chancelier. Ces textes sont ensuite publiés au Journal officiel. Enfin, il est à noter qu’aucune action disciplinaire ne peut être poursuivie ou engagée contre une personne décédée et que les sanctions et la procédure disciplinaires prévues pour la Légion d’honneur sont applicables aux membres de l’ordre national du Mérite.

La salle du conseil de l’ordre de la Légion d’honneur © GCLH

Quid des étrangers ?

Rappelons que les étrangers ne sont pas reçus dans l’ordre, la nationalité française étant une condition sine qua none. Comme pour les Français, la Légion d’honneur est retirée si l’intéressé a été condamné, que ce soit pour crime ou à une peine d’emprisonnement sans sursis au moins égale à un an prononcée par une juridiction française, ou si elle a commis des actes contraires à l’honneur ou de nature à nuire aux intérêts de la France à l’étranger.

Parmi les quelques exemples célèbres, citons le couturier britannique John Galliano, à la suite de sa condamnation en 2011 pour injures antisémites qui lui ont également valu un licenciement de la maison Dior, le cycliste américain Lance Armstrong, qui avoua s’être dopé en 2013 alors qu’il avait remporté sept fois le Tour de France, ou encore le producteur américain Harvey Weinstein, ciblé par de multiples accusations d’agressions sexuelles à partir de 2017.

En ce qui concerne les chefs d’État étrangers, le président de la République, en sa qualité de grand maître de l’ordre, peut décider de retirer leur distinction, comme ce fut le cas pour Bachar el-Assad en 2018. Le président syrien avait alors été accusé de complicité de crimes contre l’humanité pour les attaques chimiques perpétrées à l’été 2013. En revanche, la Légion d’honneur ne pouvant être retirée à une personne décédée, certains dictateurs tels que Benito Mussolini, Nicolae Ceausescu et Francisco Franco ont pu la conserver.

La Légion d’honneur de Bachar el-Assad, rendue à la France par un représentant de la Syrie à l’ambassade de Roumanie à Damas © AFP