Vous avez certainement déjà entendu parler de « citation à l’ordre de la Nation » à l’occasion du décès d’un militaire ou d’un membre des forces de sécurité intérieure, et vous vous demandez peut-être ce qui se cache derrière cette mention, notamment lorsque elle est associée à l’attribution d’un titre de guerre ou d’un ordre national. C’est ce que nous vous proposons de découvrir dans cet article…

En résumé

Raymond Poincaré, président de la République de 1913 à 1920

La citation à l’ordre de la Nation est un titre de reconnaissance créé en 1917 par le président Raymond Poincaré pour récompenser les « services ou actes de dévouements exceptionnels, accomplis pour la France au péril de la vie, soit à titre civil, soit à titre militaire ».

La citation à l’ordre de la Nation est donc un usage républicain dont l’origine règlementaire remonte au décret du 1er octobre 1918, complété par les décrets du 4 décembre 1918 et du 20 mai 1919 relatifs à l’attribution des décorations à titre posthume.

Aujourd’hui, la citation à l’ordre de la Nation est essentiellement accordée par le Premier ministre sur proposition du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer. Accordée à un fonctionnaire ou à un militaire décédé dans l’exercice de ses fonctions, elle permet de reconnaître des services exceptionnels

Entre 2010 et 2019, on note que 91 personnes ont été citées à l’ordre de la Nation, dont 6 gendarmes, 2 militaires tués dans le cadre de l’opération Harpie en Guyane et 6 sapeurs-pompiers de Paris.

Pour aller plus loin…

Des honneurs pour les défunts méritants

Sous la Révolution, bien que la plupart des formes de distinctions soient peu à peu abolies, quelques honneurs subsistent, en particulier pour les personnes décédées ayant contribué à la grandeur de la France. C’est ainsi que l’Assemblée nationale décida, par un décret du 4 avril 1791, de transformer l’église de l’abbaye de Sainte-Geneviève en Panthéon.

Le Panthéon pris en contre-plongée – Crédits : Hervé BoisGetty

Ce lieu devint donc la nécropole des citoyens ayant rendu d’éminents services à la Patrie dans « la carrière des armes ou dans celle de l’administration et des lettres ». Cette marque de reconnaissance exceptionnelle permit de porter à la connaissance de tous la reconnaissance des services rendus par un individu à la Nation. Ce fut notamment le cas de Mirabeau, premier mort à entrer au Panthéon.

À côté de cet honneur national, un autre, d’une portée moindre mais d’usage plus fréquent, émerge avec la citation à l’ordre de la Nation. Par cette dernière, la conduite du défunt est portée à la connaissance de l’ensemble du pays.

la citation à l’ordre de la Nation est aux petits ce que le Panthéon est aux grands…

Xavier Cabannes

L’histoire de la citation à l’ordre de la Nation

Une pratique qui débute sous la Grande Guerre

Croix de guerre 1914-1918

Le premier texte faisant référence à la citation à l’ordre de la Nation paraît alors que cette récompense existait déjà dans l’usage. On retrouve ainsi un fondement juridique avec la création par décret du 23 avril 1915 de la croix de guerre. Celle-ci est alors conférée de plein droit :

  • aux militaires ayant obtenu pour faits de guerre une citation à l’ordre des armées de terre et de mer, des corps d’armée, des divisions, des brigades et des régiments (article 3) ;
  • aux civils qui auront fait l’objet de l’une des citations visées à l’article 3 ;
  • en même temps que la Légion d’honneur ou la médaille militaire, aux militaires ou civils non cités à l’ordre, dont la décoration aura été accompagnée, au Journal officiel, de motifs équivalant à une citation à l’ordre de l’armée pour action d’éclat.

À la suite de la Première Guerre mondiale, des villes sont également citées à l’ordre de la Nation afin de récompenser leurs actions héroïques et/ou le lourd tribut qu’elles ont eu à payer au cours du conflit.

Le premier fondement juridique

Le 1er octobre 1918, le ministre de la Justice Louis Nail rappelle la légalité de l’attribution de la croix de guerre à une personne décédée. Il avertit également de l’importance d’éviter que l’attribution de décorations à titre posthume ne devienne « un geste habituel et sans portée et que, par conséquent, le nombre de ces décorations ne se multiplie dans des proportions qui risqueraient de diminuer la valeur ».

Louis Nail, ministre de la Justice de 1917 à 1920

Il préconise également, pour les personnes n’appartenant pas à l’armée, qu’il est nécessaire qu’elles se soient rendues « dignes d’un semblable hommage par leur sacrifice héroïque. »

Il conviendrait, dès lors, de spécifier que seuls pourraient faire l’objet d’une nomination ou d’une promotion posthume dans la Légion d’honneur les soldats et officiers des armées dont le dévouement à la Patrie aura été signalé par une citation individuelle à l’ordre du jour intervenue dans un délai maximum de six mois à dater du jour du décès.

Concernant les civils, il propose que soient citées au Journal officiel les personnes qui se sont distinguées par leur héroïsme et par un dévouement exceptionnel. Il faudra attendre un décret du 4 décembre pour que ces personnes puissent être également nommées ou promues dans la Légion d’honneur après leur décès.

Vague d’assaut de coloniaux, A. Gayraud

Le décret du 1er octobre 1918 relatif à l’attribution des décorations posthumes devient donc le premier fondement juridique d’une pratique initiée dès 1914. Il faudra toutefois attendre les années 1930 pour que l’appellation de « citation à l’ordre de la Nation » ne s’impose officiellement.

L’évolution sous la Seconde Guerre mondiale

Drapeau des FFL

Le 7 janvier 1944, en reprenant les dispositions de son ordonnance du 30 septembre 1942 portant création d’une citation à l’ordre des Forces françaises libres (FFL), le général de Gaulle rétablit la citation à l’ordre de la Nation en étendant son périmètre aux faits d’armes et aux actes de Résistance.

Les droits pour la citation à l’ordre de la Nation

Concrètement, si l’attribution de cette citation possède avant tout une dimension honorifique, celle-ci ouvre également certains avantages financiers aux ayants-droits.

Ainsi, une pension de réversion est concédée au conjoint d’un fonctionnaire civil ou militaire suite à un attentat, une lutte dans l’exercice de ses fonctions, un acte de dévouement dans un intérêt public ou une action pour sauver la vie d’une ou plusieurs personnes, ainsi que la moitié de la rente viagère d’invalidité dont aurait pu bénéficier le fonctionnaire, pension prévue au code des pensions militaires d’invalidité.

Ne pas confondre « cité à l’ordre de la Nation » et « mort pour le service de la Nation »

La mention « mort pour le service de la Nation », apparue en 2012, est consécutive aux attentats de mars 2012 à Toulouse et Montauban commises par Mohammed Merah, tuant sept personnes, dont trois militaires du 1er régiment du train parachutiste et du 17e régiment du génie parachutiste.

Le saviez-vous ?
Il existe trois autres mentions républicaines :
  • Mort pour la France (1915)
  • Mort en déportation (1985)
  • Mort pour le service de la République (2021)
Le président Sarkozy participe le 21 mars 2012 à l’hommage funèbre de trois parachutistes français décédées à Montauban – Crédits : Pascal Pavani – AFP

Cette mention a été créée par l’article 12 de la loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. Cet article dispose que le ministre compétent peut décider que la mention « Mort pour le service de la Nation » est portée sur l’acte de décès :

  • d’un militaire tué en service ou en raison de sa qualité de militaire ;
  • d’un autre agent public tué en raison de ses fonctions ou de sa qualité.

Les personnes mentionnées ci-avant peuvent bénéficier de cette mention si elles sont « décédées des suites de l’acte volontaire d’un tiers. » Cet article de loi précise également que peut être reconnu mort pour le service de la Nation « un militaire ou un agent public décédé du fait de l’accomplissement de ses fonctions dans des circonstances exceptionnelles ».

Plaque posée à Paris en hommage au sergent Simon Cartannaz, mort pour le service de la Nation

Le comportement du militaire ou de l’agent doit relever d’actes qui n’entrent pas dans le cadre de l’accomplissement normal du service (constance face à l’adversité, le courage ou encore le sacrifice consenti). Les circonstances exceptionnelles sont appréciées par les juges comme des situations présentant les caractères suivants : gravité particulière ou anormalité (guerres, émeutes, cataclysmes naturels), imprévisibilité, irrésistibilité, tant dans leur survenance, que dans leurs effets, insurmontables, qui s’assimilent à des cas de force majeure.

Notons, enfin, que cette mention a pour effet de rendre obligatoire l’inscription du nom du défunt sur un monument de sa commune de naissance ou de son dernier domicile. De plus, les enfants du défunt âgés de moins de 21 ans ont vocation à se voir reconnaitre la qualité de pupille de la Nation. Le statut de pupille est également reconnu aux enfants de militaires morts en opération extérieure et aux enfants de morts pour la France.

Références

  • Loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme ;
  • Loi du 8 avril 1915 instituant une croix dite « Croix de guerre », destinée à commémorer les citations individuelles pour faits de guerre à l’ordre des armées de terre et de mer, des corps d’armée, des divisions, des brigades et des régiments ;
  • Décret n° 81-998 du 9 novembre 1981 modifiant le code de la Légion d’honneur et de la médaille militaire ;
  • Décret du 4 décembre 1918 relatif à l’attribution des décorations posthumes J.O. du 8 décembre 1918 ;
  • Décret du 1er octobre 1918 relatif à l’attribution des décorations posthumes J.O. du 5 octobre 1918 ;
  • Code des pensions civiles et militaires de retraite ;
  • Article La citation à l’ordre de la Nation de Xavier Cabannes (maître de conférences à l’Université de Paris V), paru dans la revue Droit et Défense 2001/2.