Beaucoup de militaires se souviennent de leur première rencontre avec la médaille militaire. Pour moi, c’était au régiment, dans la première moitié des années 1990. Sur le placard bien fourni de mon adjudant-chef, un ruban jaune et vert m’intriguait. Comme nombre de ses camarades parachutistes des années 1980, il avait servi au Liban et au Tchad et, si je maîtrisais déjà l’histoire de la médaille d’outre-mer, je me demandais bien quelle pouvait être celle-ci, placée en tête de ses trois rangées.

« Celle dont je suis le plus fier, c’est celle-là » me disait-il en la désignant. « La médaille militaire, tu ne la verras pas beaucoup au régiment ». Loin de satisfaire ma curiosité, il m’avait au contraire donné envie de m’intéresser à cette « Légion d’honneur du soldat ». Et il avait raison, car son histoire est d’autant plus longue (170 ans) qu’elle a été enrichie par les changements de régimes de l’époque.

Imaginée par le futur Napoléon III, encore président de la République, la médaille militaire n’était que la représentation de la volonté de récompenser davantage les sous-officiers et les soldats. Bien sûr, la Légion d’honneur avait déjà cet objectif mais, dans la pratique, on ne la retrouvait que dans les sphères les plus hautes de la société et dans l’Armée, le plus souvent chez les officiers.

Napoléon III

Sur les traces de son oncle, le futur empereur imagina alors le 22 janvier 1852 une décoration qui allait rendre fier ses militaires. N’oublions pas qu’à ce moment-là les médailles commémoratives n’existaient pas encore. Seule la médaille de Sainte-Hélène allait, cinq ans plus tard, en 1857, rappeler aux soldats de l’Empire la gloire qui avait été la leur.

Pour être sûr que la médaille militaire jouisse d’emblée d’un prestige important, Charles Louis Napoléon Bonaparte décida de décorer des maréchaux et, par extension, des généraux. Cette disposition – originale – perdure aujourd’hui encore à travers l’article R140 du code de la Légion d’honneur et de la médaille militaire.

Le prestige de la médaille militaire est tel que les généraux la portait bien souvent devant leurs autres décorations, au mépris de l’ordre protocolaire

« La médaille militaire peut être exceptionnellement concédée par décret pris en conseil des ministres aux maréchaux de France et aux officiers généraux grand’croix de la Légion d’honneur, qui, en temps de guerre, ont exercé un commandement en chef devant l’ennemi ou qui ont rendu des services exceptionnels à la Défense nationale ».

À ce jour, le général Jean Simon est le dernier à avoir bénéficié de cette disposition, le 16 octobre 2002.

Ordre de la Couronne de fer (Italie)

Reprenant la couleur verte et jaune pour son ruban, chère à son oncle, la médaille militaire s’inspire de l’ordre de la Couronne de fer d’Italie qui, lui, avait un ruban orange et vert. Contrairement aux ordres de chevalerie, elle ne comporte ni grade, ni classe, mais un seul niveau. Cette volonté d’équité de traitement entre un maréchal et un soldat contribuera d’ailleurs à renforcer son prestige.

De fait, on n’est pas « reçu » lorsqu’on en devient titulaire, on peut donc la porter dès la parution du décret. De même, il n’y a pas de frais de chancellerie à régler, ce qui fait qu’elle est concédée et non remise. Cette concession donne encore droit aujourd’hui à un traitement, même s’il est symbolique ; on peut ainsi, comme pour les ordres nationaux, le rétrocéder à la société nationale d’entraide

Dans toute son existence, le modèle aura finalement peu évolué. Bien évidemment, l’évolution la plus importante date de 1870, lorsque l’aigle impériale (c’est bien l’aigle au féminin qui trône au dessus des hampes) et l’effigie de l’empereur du 1er type laissent leur place à l’effigie de la République, tressée d’une couronne de lauriers et rehaussée d’un trophée d’armes.

Si les Quatrième et Cinquième Républiques n’apportent que des modifications mineures, comme le remplacement de l’inscription « 1870 » par un fleuron à cinq pétales, on compte tout de même un total de sept types différents de la médaille.

Modèle du Second Empire (1852-1870)Modèle de la Troisième République (1870-1940)Modèle actuel (depuis 1951)

Encore aujourd’hui, pour les militaires non-officiers, la médaille militaire reste la porte d’entrée au monde des ordres nationaux (voir notre infographie sur l’avancement dans les ordres nationaux). Ses conditions d’attribution revêtent d’ailleurs un grand mystère car, si le code est très clair sur les obligations (service de huit ans minimum et dispense en cas de citation à l’ordre de l’armée ou de blessure au combat), la réalité est beaucoup moins limpide.

Ainsi, l’accès, au-delà des conditions d’ancienneté exigées, sera quasi automatique pour un militaire titulaire d’un titre de guerre (citation avec croix), mais rien ne précise ce qu’il faut détenir lorsque l’on a effectué une carrière complète sans aucune citation. Il en résulte, pour les militaires, une sorte de déduction tirée de l’expérience, laissant entendre qu’il faut, pour être proposable, avoir été chef de section ou de peloton, à compter du grade d’adjudant (mais plutôt d’adjudant-chef ou de major), avec plus de cinquante ans et au moins trente ans de services…

Bref, si elle n’est évidemment pas une médaille d’ancienneté et encore moins une médaille du travail, la médaille militaire nécessite patience et persévérance. Pourtant, son prestige n’aura jamais été démenti et même s’il n’y a plus de généraux vivants décorés, ni même de temps de guerre, la médaille militaire conserve un ordre de préséance de première importance, juste derrière la Légion d’honneur (le dernier compagnon de la Libération s’est éteint en 2021).

Ainsi, lorsque l’on quitte l’état de sous-officier pour celui d’officier, on sait à quelle décoration on peut prétendre mais on sait surtout celle que l’on n’aura plus jamais, « celle qui dira à vos camarades, à vos familles, à vos concitoyens que celui qui la porte est un brave ».

Cérémonie de remise de la médaille militaire à un « brave »

Sources : Code de la Légion d’honneur et de la médaille militaire, Grande chancellerie de la Légion d’honneur, Société nationale d’entraide de la médaille militaire, Wikipédia