« Médaille d’outre-mer », mais que se cache-t-il derrière cette médaille historique et pourtant toujours actuelle, dont le mot composé fait jaillir des airs d’exotisme et de distance ?

Comme le fait si bien Yves Richez dans sa série « j’ai deux mots à vous dire » au travers d’enquêtes sur l’étymologie de certains mots, nous allons nous plonger dans l’histoire de la médaille d’outre-mer pour mieux la comprendre, sans nous laisser abuser par les évidences qu’elle suscite. 

Avant, les colonies

La médaille d’outre-mer n’a reçu cette appellation qu’à la suite d’un décret du 6 juin 1962, la substituant à celle de la médaille coloniale, sous l’impulsion du Président Charles de Gaulle.

A cette époque, la France achève un processus de décolonisation engagé dès la fin de la Seconde guerre mondiale. Le terme « colonial(e) » doit ainsi disparaître et, tandis que les actions conduites dans ces régions (et au-delà) se poursuivent, les autorités de l’époque décident naturellement de conserver cette décoration visant à récompenser les troupes y prenant part, tout en changeant son appellation.

Retour sur la médaille coloniale

Sous le Second Empire, plusieurs médailles commémoratives furent créées pour rappeler les campagnes et les expéditions engagées sous Napoléon III : Italie (1859), Chine (1860) et Mexique (1863).

Toutefois, si les expéditions coloniales perdurèrent sous la Troisième République (1871-1940), il est vite apparu que ces précédentes médailles commémoratives ne permettaient pas de récompenser les troupes participant aux actions de pacification conduites dans ces territoires nouvellement rattachés à la France.

Il faut attendre l’année 1892, pour qu’une médaille commémorative universelle soit proposée à la Chambre des députés dans un projet de loi du vicomte Louis-Philogène de Montfort. Son intention est alors de récompenser, à l’aide d’agrafes distinctes, « les services militaires dans les colonies, résultant de la participation à des opérations de guerre, dans une colonie ou un pays de protectorat ».

Cette médaille, appelée « médaille coloniale », est créée par l’article 75 de la loi de finances du 26 juillet 1893. Dès l’origine, il est prévu qu’elle puisse récompenser, avec effet rétroactif, des opérations militaires coloniales antérieures à sa création. Pour ne pas faire doublon, cette nouvelle décoration n’est pas accordée aux troupes ayant participé à des expéditions qui ont déjà donné lieu à la délivrance de médailles commémoratives spéciales, telles que celles du Dahomey, de Madagascar, du Tonkin, etc.

Son ruban reprend la couleur de l’horizon ultra marin, orné de trois bandes verticales blanches.

À travers une cinquantaine d’agrafes, la médaille coloniale témoigne à elle seule de l’histoire coloniale française. Les premières agrafes créées concernent les opérations en Algérie / Cochinchine / Îles de la Société / Îles des Marquises / Nossi-Bé / Sénégal et Soudan / Tunisie (1894), Comores / Côte-d’Ivoire / Côte-d’Or / Guyane / Madagascar / Tonkin (1895) / Congo (1896).

Image extraite du film « J’accuse » de Roman Polanski (2019) mettant en scène les officiers Picquart et Henry, tous deux porteurs de la médaille coloniale.

Une médaille dont les conditions d’attribution évoluent

En 1914, le texte d’origine portant création de la médaille coloniale est complété pour récompenser également « les services de longues durées en temps de paix sur certains territoires » avec l’attribution de la médaille sans agrafe (dernière mise à jour de la liste des territoires par arrêté du 30 novembre 1988).

Plus tard, en 1921, cette attribution est étendue aux « militaires et marins blessés lors de faits de guerre quelconques aux colonies françaises ou en pays de protectorat si, à l’occasion de cette blessure, ils n’ont pas été l’objet d’une citation donnant droit à la croix de guerre des Théâtres d’opérations extérieurs. » 

À la Libération (1944), une nouvelle mise à jour du texte permet le port de la médaille avec des agrafes récompensant la participation à des opérations de guerre, dans des contrées situées hors de l’empire colonial français.

Au total, on dénombre près de 119 agrafes pour la médaille coloniale, dont seulement 54 sont officielles. Leur port sur le ruban de la médaille pendante n’est pas limitatif.

Après avoir été attribuée à plus d’un million de titulaires, la médaille coloniale devient par le décret n° 62-660 du 6 juin 1962, la médaille d’outre-mer. Cette substitution au terme de « colonies » marque l’évolution constitutionnelle de la France, matérialisée par le texte de 1946.

L’étymologie du mot « outre-mer »

« Outre-mer : au-delà des mers. Se dit en particulier des colonies, anciennes colonies ou possessions d’un pays par rapport à la métropole. Depuis la décolonisation, désigne certains territoires situés hors de la métropole et qui bénéficient de statuts juridiques particuliers », explique le dictionnaire de l’Académie française.
 
Il faut attendre les années 1930 pour que le terme composé « outre-mer » se substitue à ceux de « colonies » ou de « possessions ». Comme l’explique Jean Nemo (membre de l’Académie des Sciences d’outre-mer) :

« En 1934 l’École coloniale est devenue l’École nationale de la France d’outre-mer. On a alors utilisé dans le langage courant l’expression « France d’outre-mer » pour désigner tous les territoires français non européens. On y incluait le Maroc et la Tunisie qui étaient des protectorats, la Syrie, le Cameroun et le Togo qui n’étaient pas des colonies mais des territoires sous mandat. »

Médaille d’outre-mer avec ou sans agrafe(s) ?

Dans les mêmes conditions que la médaille coloniale, la médaille d’outre-mer peut être attribuée avec ou sans agrafe(s). Les conditions sont les suivantes : 

Avec agrafe

Médaille d’outre-mer agrafe Tchad (1969)

La médaille d’outre-mer peut être attribuée aux militaires ayant participé à des opérations dans des territoires, dont la liste est arrêtée par le ministre de la Défense / des Armées. Il définit également la zone de séjour ouvrant droit à la médaille, ainsi que les conditions à remplir pour son obtention et le nom de l’agrafe à créer.

Pour certains territoires, la médaille avec agrafe peut être attribuée aux militaires blessés, cités ou tués, ou ayant fait l’objet d’une décision de rapatriement sanitaire prescrite par le commandement de l’opération.

Vous pouvez retrouver l’ensemble des décrets portant attribution de la médaille outre-mer en cliquant ici.

Voir l’infographie en pdf : Médaille_Outre-Mer_attribution_avec_agrafe_Théâtres_opérations_2020

Sans agrafe

La médaille d’outre-mer peut être attribuée aux militaires du rang et sous-officiers qui comptent dix années de services effectifs ainsi qu’aux officiers qui comptent quinze années de services effectifs et qui ont servi en activité et avec distinction pendant six ans au moins, dans des territoires dont la liste est également arrêtée par le ministre de la Défense.

Ces territoires sont définis par l’arrêté du 30 novembre 1982 : Guyane, Terres australes et antarctiques françaises, Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Djibouti, Gabon, Guinée équatoriale, Guinée Bissau, Mali, Madagascar, Mauritanie, Mayotte, Niger, République centrafricaine, Rwanda, Sénégal, Tchad, Togo, Zaïre (actuelle RDC).

Voir l’infographie :

Voir l’infographie en pdf : Médaille_Outre-Mer_attribution_sans_agrafe_Théâtres_opérations_2020

Quelques questions en suspens

Il est logique de s’interroger sur la désignation des territoires concernés aujourd’hui par l’attribution de la médaille d’outre-mer. Car si l’on comprend facilement pourquoi les territoires concernés par une opération majeure, telle que celle engagée au Sahel, sont d’office intégrés dans un décret d’attribution de la médaille d’outre-mer, on peut se demander pourquoi ce n’est pas le cas pour les territoires français d’outre-mer actuels. Car l’attribution de la médaille d’outre-mer sans agrafe n’est possible selon les conditions précitées que pour le département de Mayotte et la collectivité territoriale unique de Guyane.

En parlant de la Guyane, il faut également souligner qu’il s’agit du seul territoire français pour lequel il existe une agrafe à la médaille d’outre-mer !

Si certains d’entre-vous s’interrogent sur l’absence de prise en compte des territoires d’outre-mer actuels (tels que la Nouvelle-Calédonie, les Antilles, la Réunion, etc.), la réponse a déjà été apportée par le ministère des Armées qui rappelle que le critère d’attribution de la médaille d’outre-mer repose sur « la participation des militaires ou des civils à des opérations de guerre » sur les territoires concernés. Il est ainsi considéré que les opérations de maintien de l’ordre ne relèvent toutefois pas d’un conflit armé ; cela explique l’absence d’agrafe « Algérie » pour les opérations de 1954 à 1962 ou « Nouvelle-Calédonie » pour les opérations de 1983 à 1988.

Par ailleurs, lors du port de la décoration en ruban, s’il est possible de mettre plus de 3 agrafes sur le ruban, il n’est pourtant pas question de doubler le ruban lorsque l’on est titulaire de beaucoup d’agrafes (contrairement à une pratique répandue).

Enfin, en dernier point, si certains d’entre-vous venaient à s’interroger sur les règles de port de la médaille d’outre-mer lorsque l’on est détenteur de cette derrière avec agrafe et sans agrafe, la réponse est simple : elles ne peuvent pas être portées ensemble ! De fait, la règle est la suivante: « tout militaire, décoré d’une médaille d’outre-mer avec agrafe, ne peut recevoir la médaille d’outre-mer sans agrafe. En revanche, l’inverse est possible, tout titulaire d’une médaille d’outre-mer sans agrafe peut éventuellement recevoir une agrafe sur son ruban, dans le respect des conditions préalablement citées. »