Pour ceux qui ont pu s’émerveiller devant l’impressionnante exposition « Les canons de l’élégance » organisée au musée de l’Armée en 2019-2020, vous n’avez pas pu passer à côté de la beauté des objets proposés, que ce soit les armes, les parures, les broderies ou encore les décorations.

En effet, la phaléristique n’échappe pas à la règle de l’esthétisme et fait également écho à l’expression de Voltaire : « Le superflu, chose si nécessaire. » Tantôt emprunt au faste, tantôt emprunt à l’ego, l’hypertrophie de l’insigne, comme attribut légitimant, ne laisse jamais indifférent. Partons donc à la découverte de quelques pépites, aussi belles qu’originales…

Quand la joaillerie marque l’appartenance aux classes supérieures

Sous l’Empire, la distinction suprême des ordres nationaux

En ce qui concerne la Légion d’honneur, l’insigne des simples légionnaires a toujours été d’argent, celui des autres grades et distinctions en or puis, actuellement, en vermeil.

Contrairement à de nombreux États, notamment d’Europe orientale, la France n’a décerné qu’exceptionnellement des décorations enrichies de brillants. Si le port n’en est plus aujourd’hui réglementé, la grande chancellerie, sous l’Empire, déclarait :

La décoration de la Légion d’honneur en brillants est une distinction accordée par l’Empereur. Aucun Français décoré du grand aigle ou de la croix de la Légion d’honneur ne peut la porter fabriquée en diamants, perles ou pierres précieuses, à moins qu’elle ne lui ait été donnée par l’Empereur, ou à moins d’une autorisation spéciale transmise par la grande chancellerie de la Légion d’honneur

Car si certains ordres ou décorations revêtent un caractère universel, comme les ordres nationaux, certains joailliers ou fabricants de médailles prirent peu à peu le parti de transformer les décorations en bijoux pour leurs plus riches clients. Ils profitèrent ainsi de la liberté de conception et de fabrication laissée par les règlements pour improviser des insignes transformés en bijoux, et ce par pure distinction.

Ce fut bien souvent le cas de la Légion d’honneur, dont il n’était pas rare que les plus hautes autorités ou personnalités commandent aux joailliers les plus réputés d’agrémenter leurs insignes de pierres précieuses, faisant de l’insigne un bijou pour eux-mêmes ou pour en offrir en guise de cadeau.

Ainsi, Napoléon III, une fois proclamé empereur, passa commande à Maison Ouizille-Lemoine, fournisseur de la grande chancellerie, de deux ensembles de la Légion d’honneur en diamants. Il offrit également des insignes similaires comme marques spéciales de son estime à ses ministres les plus proches, notamment Eugène Rouher, ministre d’État sous le Second Empire.

Les prestigieux insignes de joaillerie d’Eugène Rouher offerts par l’empereur le 13 juillet 1867 illustraient les fastes retrouvés de l’Empire : 

Je vous envoie la grand’croix de la Légion d’honneur en diamant. Les diamants n’ajoutent rien à la haute distinction que je vous ai conférée depuis longtemps ; mais je saisis ce moyen de vous donner publiquement une nouvelle preuve de ma confiance et de mon estime.

Napoléon III
Croix de chevalier de la Légion d’honneur ayant appartenue à Napoléon II, composée de de chevalier 116 brillants, 98 roses, 42 émeraudes et 4 rubis
Plaque de grand’croix de la Légion d’honneur offerte à Eugène Rouher aux 673 brillants

Quand la fantaisie distingue les autres décorations

D’autres célèbres joailliers d’art ont réalisé de magnifiques insignes ornés de pierres. C’est le cas de Louis Van Diest, installé au 26 de la rue Vivienne à Paris. Certains fabricants de médailles tels qu’Arthus Bertrand ou Chaumet suivirent la tendance et proposèrent des modèles enrichis.

Pour ne citer que quelques exemples, le maréchal Foch se vit ainsi offrir par le peuple de Guadeloupe une croix de guerre en or et diamants. Celle-ci est actuellement exposée au musée national de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie :

Le général Weygand, quant à lui, se fit offrir par son état-major un insigne de grand officier de la Légion d’honneur, à l’occasion de sa nomination à cette dignité, d’une finition exceptionnelle et entièrement garni de diamants.

Plus récemment, en 1967, de riches récipiendaires tels que Marcel Dassault ont commandée à la maison Van Cleef & Arpels, la plaque de grand’croix de la Légion d’honneur. Celle-ci est en or sertie de plus de 300 diamants de différentes tailles (voir la galerie ci-dessous). 

D’autres décorations sont également concernées par cette marque d’appartenance à la haute société, dont voici quelques exemples :

Médaille miniature des palmes académiques avec diamant et rubis.
Médaille miniature des Palmes académiques avec diamant et rubis
Plaque de grand-croix de la Légion d’honneur sertie de diamants de Marcel Dassault (musée de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie)
 
Insigne de première classe de l’ordre perse du Soleil du duc de Bassano (musée de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie)
 
Insigne de l'ordre du Lion et du Soleil, décoration honorifique perse de la dynastie Qajar
Insigne de l’ordre du Lion et du Soleil, décoration honorifique perse de la dynastie Qajar
Insigne de l'Ordre de la Couronne d'Inde (Order of the Crown of India)
Insigne de l’Ordre de la Couronne d’Inde (Order of the Crown of India)
Insigne de la Légion d'honneur second Empire, 1900
Insigne de la Légion d’honneur, Troisième République, 1900

Les insignes fantaisistes par esthétisme…

L’utilisation de matériaux précieux et de minéraux

Outre la joaillerie, certaines décorations ont pu se différencier par l’utilisation d’un matériau précieux à la place des métaux utilisés plus couramment. De la même façon, certains minéraux ont pu remplacer des éléments d’insignes pour des raisons esthétiques.

Ordre des palmes académiques en ivoire (collection de M. de Thomas – Instagram : @pascal.de.thomas)
Légion d’honneur en pierres de lune de Karl Lagerfeld

Les médailles à rubans mixtes

De confection artisanale, ces rubans à la mode depuis le XIXe siècle jusque dans les années 1920 permettent d’associer en un seul insigne les rubans de plusieurs décorations. Des raisons d’esthétisme et de minimalisme sont mises en avant pour certains, une raison financière pour d’autres…

Rubans de la médaille militaire, de l’insigne des blessés et de la croix de guerre 1914-1918
Rubans de la croix de guerre 1914-1918 et insigne des blessés
Rubans de la Légion d’honneur et de la croix de guerre 1914-1918 avec 3 citations à l’ordre du régiment
 

Les médailles à fourragères régimentaires

Après la Grande Guerre, les anciens « Poilus » démobilisés avaient pris l’habitude, sans que cela soit réglementaire, d’orner leur croix de guerre 1914-1918 d’une fourragère miniature lorsque ceux-ci l’avaient obtenue à titre individuel, alors que la tenue civile ne prévoyait aucune disposition à cet égard.

Différents montages de pendantes

Décorations montées en un seul rang

Port à l’anglaise, dit « montage de cour » (court mounted)

Avec ce montage, le ruban apparaît à l’arrière de la médaille et est monté sur un support rigide. Les médailles sont ensuite fixées à ce support pour empêcher tout mouvement et réduire ainsi considérablement les risques de dommages entre jetons ou croix. Ce montage de cour est reconnu par les pays anglo-saxons pour son esthétisme.

Port avec médailles chevauchées / superposées sur un rang

Dans le même ordre d’idée que l’exemple précédent, il arriva que certains militaires français montent leur insignes par chevauchement (appellation officielle francisée au Québec). Cette technique est notamment héritière des usages britanniques préconisant le port des décorations sur une seule rangée. Ce type de montage permet d’en réduire la largeur lorsqu’on porte six médailles ou plus de taille normale ou plus de huit médailles miniatures. La largeur maximale du montage dépend de la carrure de la personne, mais la barrette ne doit normalement pas dépasser le bord extérieur du revers ni la couture d’emmanchure de la veste.

Dans l’instruction n°1 relative au port de l’uniforme dans la marine en date du 22 novembre 2018, ce type de port de décorations existe :

Les croix de chevalier, d’officier et les médailles sont portées suspendues par des rubans fixés sur le côté gauche de la poitrine.
La partie supérieure de la première rangée de ruban se place d’une manière générale à la hauteur du sein gauche ou, avec les vêtements qui comportent une poche de poitrine, à 1 cm au-dessus du bords supérieur de cette poche.
Les rubans sont disposés côte à côte ou « imbriqués ».

Insignes étagés

À une certaine époque, les revers des vestes étaient assez larges est cachaient une partie du placard ; certains étaient étagés pour éviter cela. Cette recherche d’esthétisme reflète une fois de plus une ère marquée par la nécessité de passer par un maître-tailleur pour faire monter ses rubans.

Toujours dans cette logique, certains placards ont même vu leurs rubans s’allonger afin de pouvoir contenir l’ensemble des palmes et des étoiles des soldats décorés de la croix de guerre, comme ici sur ce placard d’un vétéran de la Première Guerre mondiale.

…et ceux marquant un affichage revendicatif

Les Palmes académiques dans leur version grivoise

Sous la Troisième République (1870-1940), l’ordre des Palmes académiques fut l’objet d’une prolifération excessive des promotions.

En effet, les propositions officielles comme condition préalable à toute nomination furent abandonnées, de même que la clause prévoyant que les titulaires possibles soient « les personnes étrangères à l’Université qui auraient bien mérité de l’Instruction Publique » fut interprétée de façon particulièrement laxiste.

Enfin, les ministres, les parlementaires, les préfets, les autorités académiques prirent l’habitude de décorer officiellement des personnes, lors de manifestations locales, sans véritable justification.

Ce dévoiement de la décoration donna lieu à de nombreuses publications satiriques (voir les illustration du journal « L’Assiette au Beurre » ci-dessous), mais aussi, à une grande diversité d’insignes fantaisistes, parfois esthétiquement intéressants, parfois amusants, mais aussi parfois désobligeants eu égard au prestige de la décoration elle-même.

   
Première de couverture du journal « L’Assiette au Beurre » du 14 janvier 1905, ayant comme sujet « Les Palmes » – Comment, vous aussi, Madame Flora ?
– Dame, mon petit !… c’est moi qui fournis ces messieurs de la magistrature.
LES PALMES DE L’ÉCUYÈRE
– Depuis que le Ministre vous a vue sur votre bidet, il n’a pensé qu’à une chose : vous donner les palmes.
Insigne des Palmes illustrant le dévoiement dans l’attribution de cette décoration à travers une mise en scène grivoise (collection de M. de Thomas – Instagram : @pascal.de.thomas)

La Légion d’honneur DPLV

Insigne des « décorés au péril de leur vie »

La « Légion d’honneur DPLV » (Décorés au péril de leur vie) est une association de personnes décorées de la Légion d’honneur à la suite d’un fait de guerre ou d’une action héroïque. Elle a été fondée le 25 janvier 1927 par Maurice d’Hartoy (ancien combattant de 1914-1918) en réaction à des nominations abusives dans l’ordre de la Légion d’honneur, qui furent observées après la Première Guerre mondiale.

Pour se reconnaître, les membres de l’association portent un insigne à la boutonnière, représentant une tête de mort sur une croix de la Légion d’honneur. Une pratique revendicative en complément du port de la décoration, donc.

Conclusion

Vous l’aurez compris, que ce soit pour des raisons d’orgueil, de contestation ou encore pour mettre en avant des valeurs plus nobles telles que l’honneur ou la mémoire, le port d’attributs légitimants ou valorisants représente une source de créativité sans limites, aussi bien chez les civils que chez les militaires. Des particularités qui en disent beaucoup sur leurs récipiendaires et qui font le bonheur des collectionneurs !

SourceBNF