Chef charismatique du second conflit mondial, le maréchal Leclerc a vécu l’idéal saint-cyrien jusqu’à ses derniers instants. Si son épopée africaine est largement connue du grand public, son parcours phaléristique et le panache dont il a su faire preuve dans les moments clés, méritent de s’y attarder quelques instants. Retour sur l’un de nos derniers maréchaux…

Une enfance aristocratique

Né le 22 novembre 1902 au château familial de Belloy-Saint-Léonard dans la Somme, Philippe de Hauteclocque a l’enfance et l’éducation communes à un homme de son rang. Issus de la noblesse d’épée, dont les premières traces remontent au XIIIe siècle, les ancêtres du futur maréchal de France ont combattu dans toutes les armées du roi, de l’empereur ou de la République. Enrichi par cet héritage familial, féru d’histoire, le jeune Philippe de Hauteclocque est un catholique convaincu qui suit une scolarité brillante, seulement bousculée quelques mois par les conséquences de la Première guerre mondiale.

Philippe de Hauteclocque en uniforme de Saint-Cyr

Son père, Adrien, est engagé dans ce conflit pendant quatre ans et revient touché par la gloire, avec le grade de lieutenant et celui d’officier de la Légion d’honneur. Cette fierté renforce son appétence pour le fait militaire et c’est tout naturellement que Philippe de Hauteclocque réussit en 1922, le concours d’entrée à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr (109e promotion « Metz et Strasbourg »).

Sorti cinquième de l’école en 1924, il choisit alors tout aussi naturellement de servir dans la cavalerie, dont il sort major de l’école d’application en 1925.

Un début de carrière prometteur

Pour sa première affectation, le sous-lieutenant de Hauteclocque rejoint le 5e régiment de cuirassiers à Trèves, en Allemagne, puis en 1926 obtient d’être affecté au 8e spahis algériens au Maroc, comme lieutenant. Il y reste jusqu’en 1931, date à laquelle il est affecté à Saint-Cyr comme instructeur de cavalerie. Durant son séjour au Maroc il connaît son baptême du feu à la tête du 38e goum et reçoit une citation à l’ordre de l’armée en 1931 (avec attribution de la croix de guerre des Théâtres d’opérations extérieurs). En 1933, il est de nouveau affecté au Maroc, où il obtient une deuxième citation à l’ordre de l’armée, puis il rentre à Saumur comme instructeur.

En 1934, il est promu capitaine et retrouve Saint-Cyr comme instructeur, puis comme commandant d’escadron. Il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1936 (il a alors 34 ans) et reste en poste jusqu’en 1938, date à laquelle il intègre l’école supérieure de guerre, comme major. Après seulement un an de scolarité (il n’y aura jamais de seconde année), il sort également major de l’école, en 1939.

Formation à l’école de cavalerie de Saumur

Le déclenchement des hostilités

En août 1939, le capitaine Philippe de Hauteclocque est affecté à la 4e division d’infanterie et, pendant huit mois, participe à cette campagne qui sera communément appelée la « drôle de guerre ». En mai 1940, subissant l’avancée de la Wehrmacht, sa division se replie à Lille, avant de définitivement capituler. Philippe de Hauteclocque obtient alors la permission de son chef de traverser les lignes allemandes puis réussit à rejoindre la division du général Weygand. Arrêté plusieurs fois par les Allemands, il n’est finalement pas emprisonné et s’enfuit, puis le 8 juin 1940, il reprend le combat en Champagne sous les ordres du général Buisson. Mais la débâcle se poursuit et le 23 juin, il regagne Paris avec la ferme intention de rejoindre le général de Gaulle à Londres.

L’affaire du galon

Le 10 juillet, après un périple insensé qui l’a mené de la Gironde au Portugal, le capitaine de Hauteclocque arrive à Londres ; il est alors le premier officier breveté à avoir quitté la France. Le 25 juillet, il se présente au général de Gaulle. Ce dernier lui fixe sa mission et le nomme directement chef d’escadrons. Philippe de Hauteclocque prend alors le pseudonyme de François Leclerc, qu’il intègrera à son nom de façon très officielle à la fin de la guerre.

À son arrivée en Afrique et devant l’immensité de la tâche à accomplir, Leclerc estime que pour peser face à ses interlocuteurs – notamment le lieutenant-colonel Bureau en poste à Douala, au Cameroun – son grade ne suffit pas et il va donc réaliser cette chose impensable pour un militaire qui est de se coudre un galon supplémentaire sur une de ses manches. Le voici ainsi auto-proclamé colonel (ou lieutenant-colonel, la biographie officielle restant volontairement floue sur cet épisode). Couronné de ses succès en Afrique équatoriale française durant l’été, le colonel de Hauteclocque sera confirmé dans son grade par le général de Gaulle à l’automne 1940, qui avait pourtant qualifié cette promotion de « comme par enchantement ».

L’épopée de la force L

De Fort-Lamy jusqu’à Strasbourg, de Koufra jusqu’à la Tripolitaine, le colonel de Hauteclocque s’illustre alors sur ces terres africaines qu’il chérit particulièrement. En récompense, il est reçu compagnon dans l’ordre de la Libération le 6 mars 1941, puis nommé général de brigade à titre temporaire le 10 août de la même année. Il mène alors contre les Italiens une campagne de harcèlement qui va le conduire de la Libye à la frontière de l’Égypte.

Le 25 août 1944, à 16h30, le général de Gaulle arrive à la gare Montparnasse. Il est accueilli par le général Leclerc qui lui remet l’acte de capitulation du général von Choltitz

Le 14 avril 1942, il est définitivement nommé dans le grade de général de brigade. À partir de 1943, une fois la jonction opérée avec les Britanniques, la force L s’installe en Tunisie, avant de devenir la 2e division française libre, puis la 2e division blindée au Maroc. Le 25 mai 1943, Philippe de Hauteclocque est promu général de division. En 1944, sa division est transférée en Angleterre sous les ordres du général Patton et équipée de matériels américains.

Le 1er août, enfin, la 2e DB débarque en Normandie à Utah Beach. Ce sera alors la seconde grande épopée du général de division de Hauteclocque et elle le mènera de Paris le 24 août, jusqu’à Strasbourg le 25 novembre. Après un épisode à Royan le 14 avril 1945, dans le cadre de l’opération Vénérable, la division file en Allemagne vers Berchtesgaden. Elle atteint le Berghof le 4 mai 1945 et le 25, Philippe de Hauteclocque est élevé aux rang et appellation de général de corps d’armée. Quelques jours auparavant, le 19, il avait été également élevé à la dignité de grand’croix de la Légion d’honneur. À cette occasion il est cité à l’ordre de l’armée (procédure spéciale de temps de guerre) pour le motif suivant : « général de corps d’armée, rallié dès juin 1940 à la France Libre, n’a jamais cessé le combat. Après avoir triomphé de l’ennemi et du désert, libéré Paris puis Strasbourg, termine la lutte en portant sa division au cœur de l’Allemagne et en pénétrant à sa tête dans le réduit d’Hitler à Berchtesgaden. Achève par ce fait d’arme, une épopée exemplaire de notre histoire ».

La rencontre avec la division Charlemagne

Croix de guerre de la Légion des volontaires français, décernée aux membres de la division Charlemagne

Un seul point entache l’aventure invraisemblable du général de Hauteclocque. Le 6 mai 1945, en Allemagne mais à proximité de la frontière autrichienne, douze prisonniers français appartenant à la division Charlemagne (33ème division de la Waffen-SS) sont arrêtés par les Américains, puis remis à la 2e DB et présentés à Leclerc.

Ce dernier les apostrophe : « n’avez-vous pas honte de servir sous cet uniforme ? et vous ? lui répondent-ils, vous portez bien l’uniforme américain ! ». Colère de Leclerc qui s’écrie : « débarrassez-moi de ces gens-là ! ». Les douze hommes sont alors emmenés et fusillés le lendemain par des soldats de la 4e compagnie, du régiment de marche du Tchad. L’enquête ne permettra jamais de connaître celui qui a donné l’ordre d’exécution.

Rabat (Maroc), printemps 1947

De l’Indochine à l’Algérie

Après la capitulation allemande et l’adieu à sa division le 22 juin 1945, le général de corps d’armée de Hauteclocque est envoyé en Indochine comme commandant des forces françaises en Extrême-Orient. Le 2 septembre, il signe au nom de la France la capitulation du Japon mais, en Indochine, des divergences apparaissent rapidement avec l’amiral d’Argenlieu (haut-commissaire) et la volonté de Leclerc de régler politiquement le conflit se heurte à la vision du Gouvernement sur l’avenir de cette colonie. Décoré de la médaille militaire depuis le 6 juin, il quitte avec regret son poste en juillet 1946 pour être nommé inspecteur des forces terrestres, aériennes et maritimes en Afrique du Nord. À cette occasion, il est élevé aux rang et appellation de général d’armée le 14 juillet 1946. C’est dans cette dernière fonction qu’il trouve la mort, le 28 novembre 1947 avec onze autres personnes, à l’occasion d’un accident d’avion.

Décorations françaises du maréchal Leclerc de Hauteclocque : médaille militaire, grand’croix de l’ordre de la Légion d’honneur, compagnon de l’ordre de la libération, croix de guerre 39-45 avec 8 citations à l’ordre de l’armée, croix de guerre des théâtres d’opérations extérieurs avec 2 citations à l’ordre de l’armée, médaille de la résistance avec rosette, médaille des évadés, médaille coloniale, médaille des blessés de guerre, médaille commémorative des services volontaires dans la France libre, médaille commémorative de la guerre 1939-1945.

Le maréchalat

Bâton de maréchal remis à son épouse en 1952

L’émotion en France à l’occasion de la mort de Leclerc est immense. Le 8 décembre, ses funérailles sont nationales et il est inhumé aux Invalides, dans la crypte des gouverneurs. Il rejoint alors les autres grands militaires qui l’ont tant fait rêver : Foch, Lyautey. Cinq ans plus tard, le 11 juillet 1952, le Parlement vote son élévation à la dignité de maréchal de France et son épouse reçoit son bâton le 28 novembre 1952.

L’héritage laissé par le maréchal Leclerc de Hauteclocque est immortel. Si la gloire est bien descendue sur son destin tout au long de son existence, l’audace dont il sut faire preuve à des moments clés, continue de façonner des générations d’officiers : capitaine au déclenchement de la guerre, il défile en vainqueur en 1945 comme général de corps d’armée. La 133e promotion de Saint-Cyr (1946-1948) porte son nom.