La phaléristique française peut sembler facile à comprendre de prime abord : la grande chancellerie de la Légion d’honneur établit l’ordre protocolaire de port des décorations, chaque décoration semble posséder un ruban unique facilement identifiable et les médailles ont globalement un fonctionnement similaire.

Mais tout n’est pas aussi simple ! En effet, quelques pratiques – réglementaires ou non – ont pu remettre en cause certaines règles de port des médailles et la complexité administrative a instillé au fil du temps un certain nombres d’exceptions dans le port des décorations françaises.

Pour y voir clair, décryptons ensemble tout ces particularismes…

Une médaille au-dessus de la Légion d’honneur ?

Destinée aux sous-officiers et aux soldats, la Médaille militaire peut être également concédée aux maréchaux de France et aux officiers généraux ayant rendu des services exceptionnels. Cette particularité originelle a été mise en application dès la deuxième cérémonie de remise de Médailles militaires, le 10 mai 1852, lorsque Louis-Napoléon Bonaparte décora sur le Champ de Mars 1 705 soldats et sous-officiers… et deux maréchaux de France.

La médaille militaire peut être exceptionnellement concédée par décret pris
en conseil des ministres aux maréchaux de France et aux officiers
généraux, grand’croix de la Légion d’honneur, qui, en temps de guerre, ont
exercé un commandement en chef devant l’ennemi ou qui ont rendu des
services exceptionnels à la défense nationale

Article R140 du code de la Légion d’honneur, de la Médaille militaire et de l’ordre national du Mérite

Tout en donnant immédiatement un rayonnement important à la Médaille militaire, cet acte symbolique permit de réunir sur un pied d’égalité des soldats anonymes et des grands chefs de guerre tels que Foch, Gallieni, Joffre, Juin, de Lattre de Tassigny, Leclerc de Hautecloque ou encore Lyautey ; un prestige incomparable, à tel point que certains généraux la portaient devant leurs autres décorations – y compris la Légion d’honneur – au mépris de l’ordre protocolaire. Un usage, donc, et non une règle écrite !

Placard du général Raoul Salan (1899-1984)

La primauté de la Légion d’honneur

Si l’on met de côté cette pratique irrégulière, la Légion d’honneur figure bien à la première place de l’ordre protocolaire français. Cela implique une primauté de l’ordre, et ce notamment dans deux cas.

Tout d’abord, la cravate de commandeur de la Légion d’honneur se porte toujours seule, même si vous êtes également commandeur de l’ordre national du Mérite (ONM) ou des Palmes académiques. En revanche, les autres cravates peuvent se porter ensemble, même si l’élégance peut vous commander de n’en porter qu’une !

Sur cette photo, le général Bigeard porte deux décorations en sautoir : l’ordre du Mérite civil Taï et l’ordre du Dragon d’Annam

De la même façon, si vous êtes élevé à la dignité de grand’croix de la Légion d’honneur et de l’ONM, tout d’abord envoyez-nous sans plus attendre votre placard car vous serez aisément le prochain « beau placard du moment » ! Dans ce cas, vous ne pouvez porter que l’écharpe rouge de la Légion d’honneur. Toutefois, vous pourrez quand même porter les deux plaques en vermeil sur votre tenue, comme le fait le général Lecointre, actuel grand chancelier de la Légion d’honneur.

Le général François Lecointre, grand chancelier de la Légion d’honneur

Pourquoi certains « anciens » n’ont pas l’échelon or de la médaille de la Défense nationale ?

Restons dans les ordres nationaux. Si vous êtes attentif, vous aurez peut-être remarqué que certains militaires ayant visiblement plus de dix années de service (l’un des critères de la MDN or) portaient une MDN argent ou bronze. Dans ce cas, remontez sur son placard et regardez s’il a obtenu la Légion d’honneur, la Médaille militaire ou l’ordre national du Mérite. Vous aurez donc votre réponse : nul ne peut obtenir la médaille de la Défense nationale s’il est déjà titulaire soit d’un grade ou d’une dignité dans un ordre national, soit de la médaille militaire. Ainsi, si vous obtenez l’ONM avant la MDN or, vous pouvez faire une croix sur cette dernière !

Sur son portrait, le général Burkhard ne porte « que » l’échelon argent de la médaille de la Défense nationale

Pourquoi certaines médailles comportant des agrafes… sont décernées sans agrafe ?

Ici, nous pensons en particulier à deux décorations qui partagent une similarité : la médaille de la Gendarmerie nationale (MGN) et la médaille d’outre-mer (MOM). La première, créée en 1949, adopte le même système de palmes et d’étoiles que les croix de guerre à compter d’un décret de 2004. En outre, ce dernier réaffirme le principe que la MGN peut être attribuée sans que le récipiendaire ne fasse l’objet d’une citation :

La médaille de la gendarmerie peut être exceptionnellement attribuée sans citation :
– aux militaires de la gendarmerie, pour leurs activités ou travaux remarquables ayant conduit à donner une impulsion décisive au service général de l’arme ;
– aux personnalités étrangères à l’arme ayant rendu à cette dernière des services importants ou qui, par leur aide particulièrement méritoire à l’occasion de ses missions, ont acquis des titres à sa reconnaissance. »

Article premier du décret n° 2004-733 du 26 juillet 2004 modifiant le décret n° 49-1219 du 5 septembre 1949 portant création d’une médaille d’honneur dite : « Médaille de la gendarmerie nationale »

Dans ce cas, le ruban de la MGN est porté sans étoile, ni palme. Néanmoins, si vous la recevez dans ce cadre alors que vous avez déjà été cité avec attribution de la MGN, un seul ruban sera porté, à savoir celui qui comporte la citation.

Lors de son adieu aux armes, le général Hébrard a reçu la médaille de la Gendarmerie nationale à titre exceptionnel

Une règle similaire régit le port de la médaille d’outre-mer. En effet, la MOM avec agrafe ne peut être attribuée dans un territoire qu’en fonction d’un décret du ministère des Armées, qui définit la zone de séjour ouvrant droit à la médaille, ainsi que les conditions à remplir pour son obtention et le nom de l’agrafe à créer.

Toutefois, il est possible d’obtenir la MOM sans agrafe, en totalisant quinze ans de services pour les officiers et dix ans de services pour les non-officiers ayant servi au moins six ans dans l’un des territoires français et états étrangers suivants : Guyane, Terres australes et antarctiques françaises, Bénin, Burkina-Faso, Burundi, Cameroun, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Djibouti, Gabon, Guinée-Bissau, Guinée Équatoriale, Mali, Madagascar, Mauritanie, Mayotte, Niger, République centrafricaine, RD Congo, Rwanda, Sénégal, Tchad et Togo.

Un exemple de médaille d’outre-mer attribuée sans agrafe

Comme pour la MGN, si l’on vous attribue la MOM deux fois, une avec agrafe et une autre sans agrafe, vous ne pourrez porter qu’un seul ruban : celui avec l’agrafe.

Le nombre d’agrafes est-il limité ?

Si, depuis 1893 et la création de la médaille coloniale, la plupart des différentes médailles françaises de campagne comporte des agrafes géographiques, leur port n’est pas limitatif. Prenons un exemple, si vous obtenez dix agrafes différentes sur votre médaille d’outre-mer, elle pourront toutes être cumulées sur le ruban bleu et blanc de votre décoration. Cette disposition est également valable pour la médaille commémorative française, la médaille de la protection militaire du territoire ou encore la médaille de la sécurité intérieure.

La médaille coloniale de Pierre Messmer et ses six agrafes

Toutefois, la médaille de la Défense nationale voit son port limité à trois agrafes, et ce malgré les soixante-quatre agrafes recensées dans l’arrêté du 13 juillet 2023 fixant la liste des inscriptions portées sur les agrafes de la médaille de la Défense nationale ! Dès lors, si vous en avez reçu plus de trois sur votre « Déf’nat », il convient de choisir les trois agrafes qui ont le plus de valeur à vos yeux…

Peut-on porter la médaille de l’un de ses aïeux ?

Autre limite phaléristique, une médaille obtenue par un aïeul ne peut pas être portée par ses descendants car cela reviendrait à remettre en cause le principe fondamental selon lequel les honneurs rendus par la Nation revêtent un caractère strictement personnel. Toutefois, une exception existe avec l’ordre de la Libération.

En effet, le 21 janvier 1998, le conseil de l’ordre de la Libération a consenti un droit au port de la croix de la Libération (sur le côté droit) d’un compagnon disparu par un membre de sa famille. Cette règle a été précisée le 15 mai 2012 par le conseil de l’ordre, qui a défini la liste limitative des cérémonies concernées par cette autorisation, à savoir :

  • les obsèques d’un Compagnon de la Libération ;
  • les cérémonies qui se déroulent au Mont-Valérien, le 18 juin, pour commémorer l’appel du Général de Gaulle ;
  • les cérémonies d’inauguration d’une plaque, d’une rue, d’une avenue ou de tout autre lieu portant le nom d’un Compagnon de la Libération ;
  • les cérémonies en la mémoire d’un Compagnon de la Libération.
La petite-fille d’un Compagnon de la Libération porte la croix de son grand-père à l’occasion d’une cérémonie

Peut-on porter plusieurs fois la même médaille ?

Si vous êtes passionné d’histoire militaire, vous avez sûrement déjà vu les croix de guerre à rallonge de nos héros français, notamment chez les aviateurs des deux Guerres mondiales. En effet, la règle générale de port des décorations exige que les diverses agrafes (étoiles et palmes) sont portées sur le même ruban, quitte à devoir l’allonger.

Pierre Clostermann et son impressionnante croix de guerre 1939-1945

Toutefois, il existe deux exceptions dans notre paysage phaléristique !

Prenons tout d’abord la médaille d’honneur pour actes de courage et de dévouement (MACD). Ainsi, si un sauveteur obtient deux fois cette distinction, avec dans un cas une étoile en argent (correspondant à la médaille d’argent de 2e classe) et dans l’autre une étoile en vermeil (correspondant à la médaille de vermeil), il ne porte non pas les deux étoiles sur le même ruban tricolore, mais bien chaque étoile sur deux rubans distincts. On ajoute effectivement un ruban à chaque attribution, ce qui explique pourquoi les placards de certains pompiers comportent parfois plusieurs fois le même ruban !

Le général Gontier et ses nombreuses MACD

Autre exception, la médaille de la Défense nationale (encore !) qui, certes, n’est pas cumulative comme la MACD puisqu’elle ne se porte qu’une seule fois à l’échelon le plus haut, mais peut se retrouver deux fois sur un même placard. C’est le cas lorsqu’un militaire reçoit une citation sans croix. On porte alors l’agrafe (palme, étoile, silhouette de sous-marin nucléaire lanceur d’engins ou insigne des forces aériennes stratégiques) sur un second ruban aux couleurs de la MDN. 

Sur ce placard, deux MDN cohabitent : une médaille d’or de la Défense nationale (avec trois étoiles de bronze) et une médaille de la Défense nationale échelon or (avec deux agrafes de spécialité)

Le cas des médailles du ministère de l’Intérieur

En réalité, il existe deux autres exception à la règle générale de port des décorations, mais les distinctions du ministère de l’Intérieur valent bien un paragraphe dédié pour expliquer la subtilité du port de la médaille de la sécurité intérieure (MSI) et de la médaille de l’administration territoriale de l’État (MATE). En effet, les différents échelons de ces deux médailles sont portés simultanément, ce qui veut dire qu’on peut cumuler les différents échelons sur un placard mais qu’on ne doit porter chaque échelon qu’une seule fois.

Ainsi, si vous recevez trois MSI, une en argent et deux en bronze, vous devrez porter un premier ruban avec une palme d’argent (correspondant à la MSI argent) accompagnée d’une agrafe et un second ruban (correspondant à la MSI bronze) avec cette fois deux agrafes. Et gare à la confusion avec la MATE, car le ruban porte les mêmes couleurs disposées de la même façon !

Un même ruban pour des médailles différentes ?

Cela nous amène à évoquer les médailles qui partagent leur ruban avec d’autres distinctions. Outre les deux médailles du ministère de l’Intérieur évoquées plus haut, d’autres sont également très difficiles à différencier. C’est le cas de la MACD, dont le ruban se confond facilement avec la médaille d’honneur des affaires étrangères avec ses trois raies verticales, bleu, blanc et rouge de largeur égale. C’est sans doute pour cette raison qu’un décret de 2010 ajouta sur le ruban une agrafe bronze, argent ou or, selon l’échelon décerné.

Autres exemples, la médaille d’honneur des chemins de fer, la médaille d’honneur de l’aéronautique et la médaille d’honneur des transports routiers partagent toutes les trois le même ruban avec sept raies verticales, tandis que la médaille d’honneur du travail se confond avec la médaille d’honneur au personnel civil relevant du ministère de la Défense et son ruban aux couleurs tricolores horizontales.

Enfin, il ne faut pas confondre la médaille de la protection militaire du territoire avec la médaille d’honneur de la Police nationale car, bien que les rubans ne soient pas exactement identiques, ils demeurent tout de même très similaires…

Conclusion

Toutes ces exceptions contribuent à rendre passionnante la phaléristique française. Toutefois, celles-ci peuvent aussi rendre cette science auxiliaire de l’Histoire quelque peu hermétique. Pour cette raison, n’hésitez pas à nous contacter pour toute question, que ce soit par le formulaire de contact ou via les réseaux sociaux (Instagram, LinkedIn ou Twitter). Nous serons ravis de vous répondre !