Ian Fleming

Le « matricule 007 » tel qu’on le connaît en livre et au cinéma a été créé par le romancier d’espionnage britannique Ian Fleming en 1952. Lui-même ancien agent secret de la Couronne, l’auteur a inventé ce personnage pendant des vacances passées dans sa propriété de Goldeneye située en Jamaïque. Entre 1953 et 1964 (date de son décès), Ian Fleming écrira les douze premiers romans et neuf recueils de nouvelles (dont deux furent publiés à titre posthume). Pour autant, le mythe du plus célèbre des espions britanniques « au service de sa Majesté » n’a cessé vivre car l’œuvre fut ensuite prolongée par un certain nombre d’écrivains de standing, avant d’être adaptée sur grand écran. 

En tant qu’amateurs de médailles, cet article risque de vous surprendre car, contrairement à ce que l’on pourrait croire, si le plus célèbre des espions britanniques a reçu de nombreuses décorations durant sa carrière d’espion, celles-ci n’ont parfois pas de cohérence avec les services éminents rendus à la Couronne britannique, ni de continuité au fur et à mesure de ses péripéties.

En cette période de Noël, moment – habituel – de sortie des derniers opus, nous allons nous pencher sur les origines du plus célèbre des espions britannique, son parcours phaléristique à travers les romans et les nouvelles de Ian Fleming, mais aussi les adaptations cinématographiques qui en découlent.

Aux origines du célèbre 007

Pour décrire son héros, Ian Fleming disait : « James Bond est un mélange de tous les agents secrets et officiers commandos que j’ai rencontrés pendant la Seconde guerre mondiale ». Pourtant, on sait que la véritable source d’inspiration était sa propre existence. « Il était vraiment Bond, il a vécu comme lui, bu et fumé à l’excès et a su attirer de belles et nombreuses femmes dans son lit » expliquaient les spécialistes de Fleming.

Deux officiers semblent figurer parmi les personnages qui ont en partie inspiré l’auteur : le major Patrick Dalzel-Job et le sergeant-major Tom Winter.

Patrick Dalzel-Job (1er juin 1913 – 14 octobre 2003)

Major Patrick Dalzel-Job
En mai 1940, ce dernier avait notamment évacué, contre les ordres de son commandement, la population civile du port de Narvik, en Norvège, quelques jours avant son bombardement par l’armée allemande. En remerciement de son action, le roi de Norvège Haakon VII le fit chevalier de l’Ordre de Saint-Olaf, ce qui lui permit d’échapper à la cour martiale.

Cet officier était également un linguiste accompli, écrivain, marin, navigateur, parachutiste, plongeur, skieur et connaissait Fleming grâce à son service au sein de la 30 Assault Unit (30AU), l’équivalent de nos commandos.

Comme Bond, il avait une tendance rebelle quand il était en désaccord avec les ordres sur des points de principe. En homme modeste, une fois interrogé sur le lien avec Bond, il a répondu : « Je n’ai jamais lu un livre de Bond ou vu un film de Bond. Ils ne sont pas mon style … Je n’ai aimé qu’une femme et je ne suis pas un amateur d’alcool. »

Sergeant-Major Tom Winter

Décorations de Tom Winter

Ce héros de guerre a participé à des opérations notables à travers le monde. Il est connu pour avoir capturé deux navires allemands, dont l’un en l’abordant depuis un canoë pliable.

À la suite de l’échec de l’opération Aquatint (1942) destinée à tester les défenses allemandes sur les côtes normandes, Tom Winter fut capturé puis subit un interrogatoire brutal aux mains de l’ennemi. À cette époque, les soldats allemands obéissaient à « l’ordre Commando » émis par Adolf Hitler en 1942 et qui indiquait que tout commando allié fait prisonnier par les forces allemandes devait immédiatement être exécuté, sans procès, même s’il était porteur d’un uniforme ou s’il s’était rendu de lui-même. Cependant, Tom Winter put s’échapper du camp de prisonniers de guerre où il était retenu en se faisant passer pour un soldat français et en se joignant aux forces de Libération.

Ian Fleming le rencontra lors d’une opération en Afrique de l’Ouest en 1942.

Dans les romans

Médaille de chevalier de l'Ordre de Saint-Michel et Saint-GeorgePour en revenir à l’œuvre de Ian Fleming, dès les premières intrigues, il est révélé que l’espion britannique est chevalier de l’Ordre de Saint-Michel et Saint-Georges. Cet ordre honorifique récompense les civils ayant rendu de grands services aux services diplomatiques britanniques, dans le Commonwealth ou dans les territoires d’outre-mer.

Aucune autre décoration n’étant mentionnée, il peut paraître étonnant, au vu du profil de l’officier qui a participé activement à des opérations militaires pendant la Seconde guerre mondiale, que ce dernier ne soit titulaire que d’un ordre destiné aux civils et d’aucune autre décoration militaire telles que la Victoria Cross ou le Distinguished Service Order. Nous verrons plus loin, à travers l’étude des adaptations cinématographiques, que d’autres décorations viendront compléter celle de l’agent secret britannique. Peut-être était-ce parce que les missions de James Bond étaient si secrètes et classifiées ? L’auteur décida de garder la réponse pour lui.

Dans le roman Moonraker (1955), James Bond se fait convoquer par le Premier Ministre en son palais pour se voir remettre la George Cross, en récompense de ses actes de courage et de sa bravoure. Bien plus tard, il se voit attribuer l’American Medal of Merit dans Goldfinger (1964).

George Cross (Grande-Bretagne)
American Medal of Merit

Dans le roman Au service secret de Sa Majesté (1964), il est intéressant de découvrir à travers les répliques de Bond son opinion sur les médailles, alors qu’il porte lui-même les insignes de l’Ordre de Saint-Michel et Saint-George et rétorque à un autre personnage portant la King’s Medal for Foreign Resistance Fighters :

« Les médailles ne sont souvent que les insignes de la chance. Si je suis un héros, c’est pour des choses pour lesquelles aucune médaille n’est décernée. »

James Bond

Dans le roman L’Homme au pistolet d’or (1965), James Bond se voit accorder la médaille de la police jamaïcaine par les autorités locales « pour d’éminents services rendus à la cause de l’État indépendant de la Jamaïque ». D’ailleurs, à la fin de ce roman, il est précisé que Bond était « évidemment commandant dans la Réserve de volontaires navals royaux (ndlr : Royal Naval Volunteer Reserve ou RNVR), mais il utilisait rarement cette qualité. Il en était de même pour sa CMG (ndlr : Most Distinguished Order of Saint Michael and Saint Georges). Il l’arborait peut-être une fois l’an, sous les deux rubans multicolores, à l’occasion du banquet des « anciens » – fraternelle des ex-agents secrets. » 

Au grand écran, pour en savoir plus sur les décorations de James Bond, il faut observer avec attention les scènes dans lesquelles notre espion porte son uniforme de la Royal Navy (Marine britannique). Pour tout dire, ces scènes sont rares puisque notre héros n’a porté son uniforme que dans trois films : On ne vit que deux fois (1967), L’Espion qui m’aimait (1977) et Demain ne meurt jamais (1997). 

Nous détaillerons les décorations portées dans ces trois opus de la série et vous remarquerez, sûrement avec étonnement, qu’à la différence des compétences de l’espion, la cohérence de la mise en scène filmographique déçoit.

On ne vit que deux fois (You Only Live Twice)1967

Acteur : Sean Connery

Alors que la guerre fait rage entre les USA et la Russie et que l’intrigue se déroule dans un univers japonnais au sein duquel James Bond feint d’être marié à sa nouvelle muse, Kissy Suzuki, on aperçoit 007 dans cet opus revêtir son uniforme arborant trois rangées de médailles. En voici la liste :

Knight Commander of Saint Michael and Saint George (chevalier de l’Ordre de Saint-Michel et Saint-George)

Distinguished Service Order (Ordre du Service distingué)
War Medal 1939–1945 (Médaille de la guerre 1939-1945)
Atlantic Star with clasp Air crew for France, Germany or Europe (Étoile de l’Atlantique avec agrafe Étoile de la bataille aérienne en Europe, Étoile de la France et de l’Allemagne)
Pacific Star with Burma Star (Étoile du Pacifique avec agrafe Birmanie)
Defence Medal 1939-45 (Médaille de la Défense 1939-1945)
War Medal 1939-1945 (Médaille de la guerre 1939-1945)

En cohérence avec le héros de la Seconde guerre mondiale ayant inspiré Fleming, on retrouve cinq médailles correspondant à cette période. Plus honorifiques, on retrouve l’Ordre de Saint-Michel et Saint-Georges, que nous avons détaillé précédemment, et l’ordre du Service distingué qui reconnaît les services méritoires ou distingués individuels en temps de guerre. Au Royaume-Uni, cet ordre représente la seconde récompense militaire la plus prestigieuse, après la Victoria Cross (croix de Victoria).

L’Espion qui m’aimait (The Spy Who Loved Me) – 1977

Sur cette photo avec Roger Moore, James Bond détient le grade de commander (lieutenant-colonel dans la Royal Navy) et sa barrette de décorations se réduit à une rangée constituée de seulement deux médailles. Et à notre grand étonnement, il faut noter la disparition de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges au profit de médailles de campagnes militaires (campaign medals), équivalentes de nos médailles commémoratives d’opérations extérieures.

Apparaissent donc les médailles du service général dans la Marine (Naval General Service Medal), attribuée de 1915 à 1962 en reconnaissance des services rendus en opérations extérieures, et celle du service général pour services rendus (General Service Medal), remise notamment pour les campagnes en Irlande du Nord ou à Bornéo (île de l’Asie du Sud-Est).

La General Service Medal fusionne la médaille pour services généraux de la Marine et celle des forces aériennes (dont RAF) attribuées à toutes les forces britanniques et du Commonwealth engagées en opérations extérieures de 1962 à 2007. Elle sera elle-même progressivement remplacée en 1999 par l’Operational Service Medal (médaille du service opérationnel).

Voici le détail des médailles portées par James Bond dans L’Espion qui m’aimait :

Naval General Service Medal 1915-1962 (Médaille du service général dans la Marine)
General Service Medal 1962-2007 (Médaille du service général)

Dangereusement Vôtre (A View to A Kill) – 1985

Scénarisé d’après la nouvelle « Bons baisers de Paris » de Ian Fleming parue en 1960, le film Dangereusement Vôtre met pour la toute première fois en scène James Bond en mission à l’intérieur des territoires de l’Union soviétique. Ce film marque en revanche la dernière incarnation de l’espion britannique par Roger Moore.

A la fin de ce film, le général Gogol décerne à James Bond l’Ordre de Lénine pour avoir déjoué le plan de Zorin consistant à détruire la Silicon Valley, en déclarant que l’agent britannique est le premier citoyen non soviétique à le recevoir. Toutefois cette remise de médaille contredit le roman original Goldfinger qui déclarait que les membres des services secrets britanniques ne pouvaient pas accepter de décorations de services étrangers, aussi amicaux soient-ils (comme la CIA). Cependant, rien ne dit que James Bond ait accepté cet ordre. 

Extrait du film « Dangereusement vôtre », dans une scène où le général Gogol tend un écrin contenant l’ordre de Lénine à James Bond, en récompense des services rendus aux Soviétiques

Il faut néanmoins noter que l’ordre de Lénine fut ensuite remis à 007 à la fin du roman L’Homme de Barbarossa (1989).

Demain ne meurt jamais (Tomorrow Never Dies) – 1997

Dans ce dix-huitième opus cinématographique de la série, c’est donc Pierce Brosnan qui endosse la tenue de James Bond et, à la différence du film L’Espion qui m’aimait avec Roger Moore, on observe une inflation phaléristique. Il porte désormais en ruban les médailles suivantes :

Order of the British Empire, Military division (Ordre de l’Empire Britannique, division militaire)

Distinguished Service Cross (Croix du Service distingué)
General Service Medal 1962-2007 (Médaille du service général)
United Nations Protection Force (UNPROFOR) Medal (Médaille de la Force de protection des Nations unies)
NATO Medal for the Former Yugoslavia (Médaille de l’OTAN pour les opérations en Yougoslavie)

Rhodesia Medal (Médaille de Rhodésie)

Dans ce film nous voyons enfin apparaître sur la poitrine de James Bond une distinction honorifique originale et non des moindres : le Most Excellent Order of the British Empire.

Conclusion

Comme vous avez pu le constater, entre les écrits de Fleming et les adaptations cinématographiques, la cohérence du port des médailles n’est pas aussi rigoureuse que la manière de servir et Bond à travers ses soixante années de bons et loyaux services. Faut-il peut-être y voir cette perpétuelle volonté des créateurs de ne jamais cesser de moderniser ce mythe ?

On notera toutefois les honneurs et mérites de l’agent 007 à travers la remise de décorations de haute valeur tels que l’ordre de Saint-Michel et Saint-George, l’ordre du Service distingué ou la George Cross.

Ce qui est certain, c’est que l’on n’a plus vu James Bond porter une tenue militaire depuis vingt-trois ans ! Avec la prochaine sortie du nouvel épisode Mourir peut attendre, nous avons hâte de voir quelles orientations phaléristiques ont été retenues pour la dernière incarnation de James Bond par Daniel Craig !

Pour aller plus loin et découvrir les ordres, décorations et médailles de nos voisins britanniques, nous vous avons fait un résumé ci-après.

Les ordres, décorations et médailles du Royaume-Uni

Pour avoir une meilleure vision de la préséance des décorations britanniques, nous vous proposons de prendre un peu de hauteur en parcourant les tableaux suivants, au sein desquels nous avons souligné en jaune, les décorations attribuées à James Bond (hors médailles commémoratives) :

Ordres honorifiques contemporains

1       Order of the Garter (Ordre de la Jarretière)
2 Order of the Thistle (Ordre du Chardon)
3 Order of the Bath (Ordre du Bain)
4 Order of Saint Michael and Saint George (Ordre de Saint-Michel et Saint-George)
5 Distinguished Service Order (Ordre du Service distingué)
6 Royal Victorian Order (Ordre royal de Victoria)
7 Order of Merit (Ordre du Mérite)
8 Imperial Service Order (Ordre du service impérial)
9 Order of the British Empire (Ordre de l’Empire britannique)
10 Lint van de Orde Compaions of Honou (Ordre des compagnons d’honneur)

Décorations militaires et civiles

1 Victoria Cross (Croix de Victoria)
2

George Cross (Croix de Georges)

3 Imperial Service Medal (Médaille du service impérial)
4 Conspicuous Gallantry Cross (Croix pour courage exceptionnel)
5 Royal Red Cross (Croix rouge royale)
6 Distinguished Service Cross (Croix des services distingués)
7 Military Cross (Croix militaire)
[…]    
10 Distinguished Conduct Medal (Médaille pour conduite distinguée)
11 Conspicuous Gallantry Medal (Médaille pour conduite courageuse)
[…]    
16 Distinguished Service Medal (Médaille du service distinguée)
17 Military Medal (Médaille militaire)
[…]