Entre 1940 et 1944, la France a connu deux régimes rivaux et incompatibles sur le plan politique et militaire : d’un côté, la France libre du général de Gaulle et, de l’autre, le régime de Vichy du maréchal Pétain. En quête de légitimité, l’un et l’autre ont cherché à imposer leur souveraineté par tous les moyens, notamment phaléristiques.

En effet, cette période pourtant courte aura été marquée par l’institution de nombreux ordres, décorations et médailles, une façon pour ces deux régimes concurrents de s’affirmer comme l’incarnation du gouvernement véritable de la France. Dans cet article, nous vous proposons de faire le point sur ces diverses créations et sur l’enjeu qu’elles représentent.

Les décorations de la France Libre

L’ordre de la Libération (16 novembre 1940)

En 1940, le général de Gaulle se voit dans l’impossibilité de décerner des croix de la Légion d’honneur aux combattants des troupes naissantes de la Résistance extérieure car les instances de l’Ordre étaient restées en France. Il envisage alors de créer une décoration qui se distinguerait de la Légion d’honneur par son objet : la Libération de la France.

Cette idée s’est imposée à lui après la campagne du Gabon, qui a vu le ralliement de l’Afrique-Équatoriale française (AEF) à la France libre. Si la volonté de créer un « insigne nouveau face à l’imprévisible conjoncture » est évoquée une première fois à Fort-Lamy (Tchad), il faut attendre le 15 novembre 1940 et un télégramme adressé au colonel Fontaine pour que le chef de la France libre nomme expressément l’ordre de la Libération :

J’ai décidé de créer un ordre ayant pour titre « Ordre de la Libération » avec, comme décoration, la Croix de la Libération ; les titulaires de cet ordre porteront le titre de « Croisés de la Libération ».

Le lendemain, à Brazzaville (Congo), de Gaulle signe l’ordonnance n° 7 créant officiellement l’Ordre, afin de récompenser les militaires et les civils ayant rendu des services distingués à la cause de la Libération, en remplaçant toutefois le terme « Croisé » par « Compagnon », suite à une suggestion du général de Larminat.

Le prestige incomparable de l’ordre de la Libération tient donc aux conditions de sa création, à la valeur exemplaire de ses récipiendaires mais aussi au nombre très restreint de Compagnons. En effet, seules 1 038 personnes, 5 communes et 18 unités combattantes se sont vues attribuer cette éminente distinction, entre janvier 1941 et janvier 1946.

La médaille de la Résistance française (9 février 1943)

Deux ans plus tard, tandis que le général de Gaulle voulait créer une nouvelle décoration pour récompenser les personnes ayant joué un rôle important dans le ralliement des territoires à la France combattante, une commission d’étude créée pour l’occasion suggéra plutôt de créer une médaille « de la Résistance française« .

Il faut attendre une ordonnance du 9 février 1943 pour que cette médaille soit officiellement instituée. Son objet était de reconnaître « les actes remarquables de foi et de courage qui, en France, dans l’Empire et à l’étranger, auront contribué à la résistance du peuple français contre l’ennemi et contre ses complices depuis le 18 juin 1940. »

À l’origine conçue sans grade, la médaille de la Résistance connaîtra une évolution après la guerre avec la création d’un grade d’officier. Il est apparu, en effet, que cette distinction pouvait récompenser de la même façon des mérites de valeur inégale. C’est pourquoi l’ordonnance du 2 novembre 1945 instituera la médaille de la Résistance avec rosette.

La médaille de la Résistance française aura été attribuée à 65 068 personnes (dont 25 646 à titre posthume et 4 572 avec rosette), à 22 unités militaires, 18 collectivités territoriales et 15 collectivités civiles.

Les décorations du régime de Vichy

La croix du combattant de la guerre 1939-1940 (28 mars 1941)

Le 28 mars 1941, pour différencier les combattants de la guerre 1939-1940 des Poilus de la Première guerre mondiale, le gouvernement de Vichy décide de créer une décoration spécifique au second conflit mondial. À travers cette nouvelle distinction, le régime cherche à établir sa légitimité et à consolider son pouvoir en créant ses propres décorations militaires.

En effet, cette croix permet à l’État français d’établir sa propre identité en se distinguant de la IIIe République. Ainsi, si l’avers est semblable au modèle institué en 1930, la nouvelle version en diffère cependant par le millésime 1939-1940 inscrit au revers et son ruban, désormais partagé par cinq raies verticales noires et non plus sept raies de couleur rouge-garance.

La Francisque (26 mai 1941)

Emblème personnel du chef de l’État français puis symbole de Vichy, la Francisque est également une distinction créée le 26 mai 1941 pour récompenser les individus jugés conformes aux principes de la révolution nationale et/ou manifestant un attachement actif à l’œuvre et la personne du maréchal Pétain.

Ainsi, puisqu’elle n’est pas attribuée pour des mérites particuliers, la Francisque rappelle les devises médiévales, qui étaient initialement des signes personnels prenant la forme d’un objet (ou d’un animal) et permettant d’identifier leurs porteurs, tout en suggérant leurs valeurs et leur appartenance à un groupe commun.

Je fais don de ma personne au maréchal Pétain, comme il a fait don de la sienne à la France. Je m’engage à servir ses disciplines et à rester fidèle à sa personne et à son œuvre.

Le serment de la Francisque

L’insigne de la Francisque représente la hache de guerre des Francs et des Germains, avec un manche reprenant le motif d’un bâton de maréchal de France. Les archives du conseil de la Francisque ayant été détruites, on ignore le nombre exact de récipiendaires, bien qu’une liste de 2 626 titulaires ait pu être reconstituée par la Haute Cour en 1945.

La médaille du Mérite de l’Afrique noire française (26 juin 1941)

Instituée par le décret du 26 juin 1941 faisant suite à un rapport de l’amiral Platon, secrétaire d’État aux Colonies, cette distinction était destinée à récompenser « les actes de courage, la distinction des services et les marques de loyauté du personnel européen et indigène de toutes catégories dans les territoires de l’Afrique noire et de la Côte française des Somalis ».

La création d’une telle décoration était alors, pour le régime de Vichy, l’un des nombreux moyens de lutter pour conserver la souveraineté au sein de l’empire français, tandis que des colonies et des territoires d’outre-mer commençaient à se rallier à la France libre dès l’été 1940.

L’ordre national du Travail (1er avril 1942)

Premier mot de la devise officielle de l’État français, le Travail est l’un des principaux ressorts idéologiques de Vichy. C’est donc en tout logique qu’est créé, le 1er avril 1942, l’ordre national du Travail, en vue de distinguer les personnes qui ont marqué leur activité professionnelle « d’une qualité technique rare, ou d’un sens social élevé, ou d’un dévouement particulier et soutenu à la profession et à la Nation ».

Cet ordre qui comportait trois grades (chevalier, officier et commandeur) aura connu deux nominations : une première en 1943, lors de la fête du Travail – une autre création du régime du régime de Vichy, qui en fait une fête officielle avec la loi Belin – et une seconde l’année suivante. 

Les cas particuliers

Les croix de guerre de Vichy et de Londres

Tandis que la croix de guerre était instituée par la IIIe République le 26 septembre 1939 afin de commémorer les citations individuelles pour faits de guerre entre 1939 et 1940, un scandale relatant des attributions liées à des faits d’armes fictifs éclata dans la presse peu après l’armistice du 22 juin 1940. Certains chefs militaires se seraient, en effet, octroyés des croix de guerre illicitement pour redorer leurs blasons après la défaite.

Une révision des citations fut donc initiée par un jury d’honneur constitué d’officiers et d’anciens combattants, ce qui entraîna finalement la suppression et l’interdiction de port de la croix de 1939. Cette dernière fut remplacée le 28 mars 1941 par une nouvelle décoration créée par l’État français : la croix de guerre dite « de Vichy », au ruban vert et noir.

De son côté, le général de Gaulle continuait à décerner une croix de guerre – dite « de Londres » – semblable à la version de 1939, à la différence près que l’insigne ne comportait pas de millésime en son revers. De plus, en addition des citations déjà prévues pour la croix de guerre, le chef de la France combattante créa, le 30 septembre 1942, la citation à l’ordre des Forces françaises libres, matérialisée par une palme de vermeil.

Le saviez-vous ?

Il existe deux autres croix de guerre datant de cette époque. D’un côté, la croix de guerre de la Légion des volontaires français contre le bolchévisme (LVF), créée le 18 juillet 1942 pour différencier les citations attribuées aux membres de l’association collaborationniste éponyme. Cette dernière était chargée de recruter des volontaires pour combattre sur le front de l’Est au sein de l’Armée allemande.

De l’autre, la croix de guerre dite « d’Alger », qui était décernée à partir du 16 mars 1943 par le Commandement en chef français civil et militaire, l’organe gouvernemental dirigé par le général Giraud à la suite de la libération d’une partie des territoires français d’Afrique du Nord. Sur l’avers de cette décoration, l’effigie de la République était remplacée par deux drapeaux croisés.

La médaille commémorative du Levant

Si la médaille commémorative de Syrie-Cilicie avait été créée par une loi du 18 juillet 1922, afin de récompenser les militaires ayant opéré en Syrie et en Cilicie entre 1918 et 1921, puis entre 1925 et 1926, elle possède la particularité d’avoir été réinstituée aussi bien par Vichy que par Londres, une façon pour les deux régimes d’affirmer leur légitimité à assurer le mandat confié par la Société des Nations sur ces territoires.

En effet, suite à la loi du 24 décembre 1941, cette médaille fut réactivée par le gouvernement de Vichy sous le nom de « médaille commémorative du Levant » pour récompenser les services civils et militaires rendus au Levant français, un territoire correspondant à la Syrie et au Liban, qui étaient alors administrés par la France en attendant de les faire accéder à l’indépendance.

Quelques mois plus tard, le 30 mars 1942, le gouvernement de la France Libre créait également sa médaille commémorative du Levant. Cette dernière, qui ne comportait pas d’agrafe, était destinée au personnel des Forces Françaises Libres ayant soit participé à des opérations de police au Levant entre 1941 et 1943, soit séjourné au minimum deux ans dans ce territoire.

Conclusion

Fruit de la fusion entre le Comité national français de Londres et le Commandement en chef français civil et militaire d’Alger, le Comité français de Libération nationale (CFLN) considéra « illégitime, nul et non avenu » le régime de Vichy qui s’acheva, le 20 août 1944, par l’exil du maréchal Pétain pour l’Allemagne.

Libération (Pierre Grach, 1944)

Par l’intermédiaire de diverses ordonnances signées en 1944, le CFLN, incarnant la légitimité retrouvée qui aboutira à la proclamation du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), interdira de port l’ensemble des décorations vichystes et rétablira les insignes et les rubans originaux de la croix de guerre et de la croix du combattant.

En outre, la Libération de la France étant parachevée à la suite de la capitulation allemande, l’ordre de la Libération fera l’objet d’une forclusion le 23 janvier 1946, avant de devenir pour toujours le symbole d’une « chevalerie exceptionnelle, fidèle à elle-même, solidaire dans le sacrifice et dans la lutte », selon les termes du général de Gaulle.

L’Ordre sera néanmoins rouvert à deux occasions exceptionnelles : en 1958 pour Winston Churchill et en 1960 à titre posthume pour George VI, roi du Royaume-Uni.